Les salons du livre prétendument consacrés aux littératures africaines en France sont, pour la plupart, des manifestations rarement satisfaisantes. On n’y vend pas toujours nos livres, on y mange mal, pis on y subit la loi des écrivains stars souvent insipides quand ils essayent de raisonner en dehors de leurs univers littéraire (on me dira, oh ce nest pas toujours de leur faute !), bref on peut s’y ennuyer jusqu’à la nausée. Mais pourquoi diable, me diriez-vous, continuer à les courir? La réponse est simple: parce que ce sont aussi des occasions de faire des rencontres avec des auteurs singuliers. C’est ainsi que ce week-end, lors d’un salon répondant à toutes les caractéristiques citées plus haut, j’ai fait enfin la connaissance d’un auteur dont le premier roman, alors que j’étais encore étudiant sur le campus de Lomé, m’avait profondément troublé, dans le bon sens du terme.
Nous étions alors un petit groupe de lecteurs à se refiler entre nous Le Nègre Potemkine de Blaise N’djehoya, publié en 1988 chez Lieu Commun (en faillite depuis), l’éditeur entre autres, aussi, de Plan B et Faut être nègre pour faire ça de Chester Himes, ou encore de Cercueil et Cie de Simon Njami, un autre « camer disparu » de cette génération à laquelle appartiennent Ndjehoya, Yodi Karone, etc. Roman violent, halluciné, à lécriture heurtée et directe à la fois, Le Nègre Potemkine avec sa finale problématique mettant en scène un narrateur qui avait construit son château dont une seule face était inachevée, la face sud, avait laissé une empreinte durable dans ma pensée. Nous étions en 1989, un an plus tard je faisais la connaissance de Simon Njami au Ghana, et trois ans plus en arrivant en France, je découvris que Ndjehoya était un homme dont beaucoup dartistes et intellectuels noirs disaient pis que pendre. À telle enseigne que, il y a à peine deux ans, je devais coordonner le numéro dune revue littéraire, et lorsque jai proposé le nom de Blaise Ndjehoya pour rédiger un article dont je le savais capable, la réponse de certains de mes interlocuteurs fut empreinte dune certaine perplexité : « Blaise ? On le dit un peu fou, non ? »
Lhomme que jai enfin rencontré ce week-end nest pas un tendre, même si ses propos vigoureux et moqueurs ont aussi leur dose de délicatesse. En compagnie de son « pays » et complice Marcel Zang, dramaturge, auteur de La danse du Pharaon chez Actes Sud, nos discussions ont été vives et franches. Loccasion de poser à Blaise la question qui ma toujours taraudé : pourquoi ce silence brutal depuis la parution de ce premier roman ? Sans compter que le livre est introuvable et na jamais été réédité par aucun éditeur en France. Les réponses de lhomme surprennent : « Je ne publie plus, parce que je naime plus mes contemporains. Et puis tout ça sent mauvais. » Lamour, le flair, décidément cet homme nest pas dans lair du temps, on peut le comprendre quand on sait le poids de la marchandisation dans lévaluation actuelle de la littérature. Mais cela suffit-il comme raison ? Non, et je lui ai dit, à mon Blaise Potemkine, que nous sommes nombreux à écrire et à se soucier de nos minuscules carrières, mais quil arrive à certains dentre nous déprouver de la vraie admiration pour certains de nos contemporains, même si ces derniers ne nous aiment plus ! Finalement, lours a lâché quil travaille à un manuscrit et quil va le publier parce que beaucoup de ses amis lui font le même reproche. Le titre provisoire est du Ndjehoya tout craché, Roman avec Pouchkine ! Allez, combien dannées Boulgakov a mis pour écrire Le Maître et Marguerite !? Quant au Mumbo Jumbo dIshmael Reed (référence constance chez Blaise), nen parlons pas. Mais en attendant ce jour lointain où le nouveau roman de Blaise Ndjehoya paraîtra en librairie, rêvons quune réédition nous fasse redécouvrir lénigmatique OVNI quest et demeure Le Nègre Potemkine !