
(Juste une remarque sur l’introduction de Kole Omotosho; par rapport à la capacité d’écoute comparée des écrivains et des musiciens, je reste sceptique. Il y a des jours où je me suis dit en voyant les jeunes boire les paroles de mon ami, le chanteur togolais King Mensah, que j’aurais dû troquer le micro contre le stylo, mais bon King pense le contraire, ce vilain flatteur… )
Louvrage fait partie dun ensemble composé du disque So Why ? (arrangé par le pianiste béninois Wally Badarou, photo de gauche) et dun documentaire de télévision réalisé par le cinéaste camerounais Bassek ba Khobio, qui a fait le tour des télés africaines, le tout destiné à soutenir la campagne visant à faire respecter les droits des civils dans les conflits sur le continent. Cinq grands musiciens africains, Youssour Ndour, Papa Wemba, Janu Khanyle of Bayete, Lagbaja et Lourdes Van-Dunem ont prêté leur concours artistique au projet. Au cours de lannée 1996, ils ont effectué un voyage à la fois musical et humanitaire au cur de quatre conflits et de quatre territoires : le Liberia, lAngola, la frontière du Soudan et le Kwazulu Natal où les a rejoint la star locale de reggae, le sud-africain Lucky Dube. Cest la mémoire de cette tournée que dillustres photographes (une dizaine) sollicités par la Croix-Rouge ont immortalisé. La dureté de la plupart des photos, leur intransigeance devant la cruauté de la guerre a de quoi soulever le cur, mais comment tricher devant un réel aussi catastrophique, une boucherie tellement systématique que peu de place est dévolue au rêve ? « Les champs de mines sont terribles. Quelle affreuse inversion de lordre logique des choses : cest du ciel que viennent le tonnerre, le feu et la foudre. Ici, tout vient de la terre et des graines de destruction qui y sont plantées ! » (p. 49)
Si femmes et enfants sont les victimes toutes désignées des conflits visités, il importe de rappeler que ces derniers sont également acteurs à part entière de la « fabrication » des victimes. Kolé Omotosho rappelle leur docilité, leur cruauté presque angélique qui font deux les meilleurs auxiliaires des seigneurs de guerre. Le rappel se veut aussi historique, sur lexistence précoloniale de certains conflits africains, même sil est évident que la nature des conflits actuels soit plutôt à chercher du côté dune lutte intestine dont lobjet est le contrôle de lEtat, un Etat multiethnique dont la construction nest même pas encore à létape de lébauche !
Au milieu de ces rappels cinglants à la dure réalité, la préface de Nelson Mandela se veut plus optimiste, délibérément prospective, qui appelle à une « renaissance » des valeurs qui autrefois donnaient sens au vivre ensemble africain. Reconnaître franchement la difficulté dune telle renaissance ne serait-elle pas plus juste et incitative dune meilleure invention des moyens devant y mener ? « Le squelette de lAfrique nous dit/Afrique, le monde pourrit » nous le chante crûment Bayete, nullement dupe des faux espoirs que peut entretenir lafrocentrisme ou quelque succédané facile ; la conscience universelle dune débâcle des valeurs ramène le débat à sa juste mesure et pose brutalement la question aux Africains de la recherche obligatoire dune vision du monde à la fois communautaire et modernisée. Un véritable projet symphonique, au propre comme au figuré !
Kole Omotosho, Woza Africa ! Quand la musique défie la guerre
Préface de Nelson Mandela, Paris, Les Editions du jaguar, 1997, 98 pages, 12,20 .