
À la vérité, il faudrait rappeler que ce livre est une réédition. La première version, Sylvanus Olympio, un destin tragique, publiée aux NEA dans une collection dirigée par Ibrahima Baba Kaké avait été discrètement censurée à lépoque, même si lauteur prétend quil avait eu laval du Général Eyadema pour publier ce livre. Rien que ça ! Cette réédition est donc bienvenue, au moment où les Togolais sapprêtent à faire le deuil définitif de leur dictateur trépassé en avril 2005, en renouvelant leur Assemblée Nationale, une élection dont on dit quelle serait favorable à lUnion des Forces du Changement, un parti dopposition radical à Eyadema, dirigé par le fils aîné de S.O., Gilchrist Olympio ! Le travail dAgbobli est une pierre jetée dans le jardin que ceux qui passent leur temps à mythifier le « père de lindépendance » togolaise, en opposant son règne à celui des autres, Grunitzky, le Directoire, Eyadema, comme si cétait un âge dor sans tache, celui où tout allait bien dans le meilleur des mondes. En 1990, journaliste à La Tribune des démocrates, javais chroniqué un livre qui avait fait couler beaucoup dencre à lépoque dans les rangs du RPT, Le Togo, ombre et lumière du Dr Ajavon. Livre essentiel que le RPT avait honteusement récupéré pour tailler des croupières à ceux qui reprochaient à la soldatesque représentée par Eyadema lassassinat du premier président togolais. Le Dr Ajavon (membre du PTP, parti dopposition) faisait déjà état des tendances dictatoriales de son adversaire du CUT. Agbobli confirme, rappelant les tendances au culte de la personnalité du premier président togolais : « On en était arrivé à fêter comme jour férié, chômé et payé, le 6 septembre, lanniversaire de la naissance du président S. O . un dieu vivant. » Même si on peut relever que ceci nétait pas particulier au seul Olympio, et que partout en Afrique, au lendemain des indépendances, ce travers était un péché mignon partagé par tous les nouveaux dirigeants : Nkrumah, Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Mobutu, pour ne citer que les plus sophistiqués, cela valait la peine de le mentionner ! La personnalité du premier président togolais est assez complexe, son côté rigide voire cassant ne lui a pas attiré que des amis, et sa chasse aux opposants, limposition dun parti unique sont autant de ferments à une sourde révolte dont allèrent profiter ses assassins.
Mais qui a véritablement tué S.O ? Si lon connaît dans le détail les circonstances de la mort du président nationaliste, nul ne sait à ce jour, avec certitude, le nom de son assassin, encore moins les mobiles véritables du crime. Agbobli remet tout en cause. Primo, écrit-il : « Le président S.O. est mort, pour le commun des mortels, parce quil sest opposé au recrutement dans la petite armée togolaise de certains de ses compatriotes, engagés volontaires dans les troupes coloniales françaises. De là à penser que le héros et père de lindépendance togolaise est un anti-militariste de raison et de cur, le pas est vite franchi » Secundo : complot français contre le Togo ? Lhistorien doute : « Si complot français il y a, écrit-il, il ne peut provenir que des gens gravitant autour de Jacques Foccart lAfricain, le tout-puissant et redoutable secrétaire général de lÉlysée, chargé spécialement des questions africaines et malgaches. Ont-ils abusé de la confiance de braves soldats togolais manipulés comme des instruments inconscients du destin ? Il nest pas hasardeux de le croire. » Et de marteler quil ny a aucune preuve tangible de cette prétendue complicité française, pointant plutôt du doigt de manière détaillée le voisin ghanéen, celui quil appelle de manière ironique le « panafricaniste romantique », lOsagyefo Kwame Nkrumah. Les relations de ce dernier avec Olympio étaient franchement mauvaises, et sa réaction à lannonce de la mort de son homologue togolais est assez curieuse, tout ce quil a trouvé à proposer au président Hubert Maga venu le consulter était que les armées du Ghana et du Dahomey annexent le Togo et se partagent ce petit territoire ! Et ce au moment où les putschistes faisaient appel à Antoine Méatchi, réfugié au Ghana, pour venir prendre le pouvoir, alors que le Dahomey avait stationné ses troupes à la frontière, prêt à en découdre avec les criminels. Plus quune coïncidence, en effet. Durant tout son règne, le projet de Nkrumah de faire du Togo une énième province du Ghana a été une pomme de discorde entre lui et ses voisins, et sa lecture du projet de réunification du peuple éwé dispersé par la colonisation a toujours été simpliste, alors que Sylvanus Olympio rêvait dune véritable réunification économique. La démonstration de lhistorien est pertinente et éclaire dun jour nouveau le véritable visage du nationaliste ghanéen. Oui, mais la question demeure, qui a tué S.O., et pourquoi ? Il reste encore seize ans pour que les archives secrètes américaines concernant cette période soient déclassifiées, peut-être alors aurions-nous la vraie version du vice-consul américain de lépoque, sous les yeux duquel sest déroulé le crime ! On sait presque avec certitude que Eyadema nest pas le véritable assassin, alors, si ce nest pas lui, qui cest ? Personne nose étrangement avancer un nom, même pas lhistorien Agbobli qui en fait un peu trop à ce sujet, y consacrant énormément de pages juste pour nous dire quil connaît des gens qui savent et qui sont tous décédés ou vont bientôt mourir. A cette allure, lui aussi finira par quitter ce monde sans quon sache trop sil sait véritablement ou pas. Alors, zut, on le dit oui ou non, qui a tué Sylvanus Olympio ? Moi aussi jai ma petite idée, mais je ne vous le dirai pas ! Ceci est un jeu qui risque de durer longtemps. Alors, lisez dabord cet excellent livre, rigoureux, captivant et très bien documenté.
Atsutsè Kokouvi AGBOBLI, Sylvanus Olympio. Le père de lindépendance togolaise. Les éditions Graines de Pensées, Lomé, 2007, 290 pages.