La mythologie des peuples Yoruba du Nigeria, et principalement les contes dérivés de la poésie divinatoire dIfa, constituent lessentiel des six histoires qui composent le recueil de lécrivain sénégalais Louis Camara, lauréat, dans son pays, du Grand Prix du Président de la République pour les Lettres en 1996. Ce petit livre de 166 pages est une prouesse intellectuelle en soi, parce quil révèle la maîtrise pointue de Louis Camara de lunivers complexe de la mythologie religieuse yorouba. Émule déclaré du Nigérian Wande Abimbola, lun des tout premiers chercheurs africains à compiler la poésie divinatoire dIfa dans son excellent Sixteen Great Poems (éditions de lUnesco, 1979), lécrivain sénégalais réussit le pari dallier connaissance du sujet et plaisir de raconter, à la plus grande délectation du lecteur, fasciné par tant daisance et de profondeur.
Dinégales longueurs, mais chacun avec sa densité intrinsèque, les six contes du livre (La querelle du ciel et de la terre, Kola et Funmilayo, Orunmila et les sorcières, le kolatier dOlofin, Le tambour dOrunmila, Odudua, roi du monde) tournent pratiquement tous autour de la figure emblématique dIfa, encore appelé Orunmila. Celui-ci, qui nest pas stricto sensu un Orisha, cest-à-dire une divinité, mais plutôt la voix des autres dieux du panthéon yoruba, celui qui permet la communication entre ces derniers et les hommes, détient à travers sa parole la clé qui rend ce monde intelligible et donc, lorsquil vient à se taire, comme dans lhistoire du bourgeois Olofin décidé à ridiculiser les babalawo, les prêtres dIfa, même son silence se doit dêtre interprété. Le défi lancé par le richissime Olofin à Ifa, à travers ses prêtres, bouleverse lordre du monde et le cours des choses : déplacer dun lieu à un autre le beau kolatier qui pousse au milieu de sa maison sans en abîmer la moindre radicelle. Il faut croire que si rien nest impossible aux dieux, lesquels se mettent à quatre, littéralement (Eshu, Shango, Ogun, Bakéé), pour relever le défi , les conséquences par contre dun acte aussi fondamental que la remise en cause de lordre naturel du monde peuvent être désastreuses.
Les contes dIfa touchent à tous les thèmes, et celui de la mort, ou comment circonvenir la mort, du moins la retarder à défaut de lui échapper, est lobjet de lexcellent Kola et Funmilayo. On y découvre les peurs et les astuces risibles de lhomme devant Iku-la-mort, implacable et vorace divinité, toujours à la recherche de proies pour son égoïste plaisir.
« (
) jai voulu, à ma manière, commente Louis Camara, dans lintroduction à son livre de contes, me faire (
) le messager dune littérature orale qui renferme lessence dune culture dont Ifa reste aujourdhui encore le principal dépositaire. Ma conviction profonde est que les écrivains Africains peuvent et doivent voler au secours de la tradition orale et, au besoin, y puiser lessentiel de leur inspiration. » Le discours peut sembler convenu, on se contentera finalement de la grande force de persuasion qui émane de ses récits, du talent narratif de lauteur, sans commune mesure avec celui de maints zélateurs de ladite tradition orale, lesquels souvent ne nous offrent que des compilations sans souffle ni beauté.
Louis CAMARA, Le tambour dOrunmila, Dakar, NEAS, 2003.