Quinze ans après son départ, le narrateur revient à Lisahohé, ancienne villégiature pour colons allemands, dans le nord du Togo. Sans savoir dailleurs pourquoi. « Maintenant que jétais à Lisahohé, je mapercevais que je navais rien prévu de particulier quant au contenu de mon séjour» (p.18). Alors commence lexploration forcée de la mémoire, lorsque les amis quon recherche ont disparu, comme les amours dautrefois. Un homme va le prendre en charge, un ancien ami de lycée, devenu le personnage le plus puissant des lieux. Cet homme est une pièce maîtresse dans le système dictatorial qui régente tout, jusquau destin des populations, jusquà leur vie privée. Lisahohé et ses mystères, ses touristes allemandes aux murs lesbiennes, sa fosse au lion, autant de sujets qui hantent les pensées solitaires du narrateur. Un temps, le récit semble avoir trouvé son point focal : comprendre si lancien prof dhistoire Didier Somok est réellement impliqué, comme le prétend la rumeur, dans lassassinat de Félix Bagamo, ministre de lIntérieur pendant les années de braise qua connues le pays. Mais tout est évanescent, pire que les traces des fantômes de la colonisation allemande dans ce coin perdu de la savane togolaise.
Pourtant, on sent bien quil y de lembrouille dans cette histoire de retour au pays. Et si au fond, cétait moins le passé de la ville, les histoires des amis que sa propre histoire, sentimentale et familiale que le narrateur était venu éprouver ? Fugitifs mais documentés, des pans entiers du récit sont consacrés à la figure de son père. Un personnage pathétique, amoureux de la même fille que son fils. Leurs « retrouvailles » sont tristes et terribles, comme si, quelque part, la parole rompue, au même titre que la dégradation du pays, relevait du naufrage éternel : « Dans le cimetière où il reposait, nous passâmes des minutes à chercher lemplacement. Entre les tombes, il y avait des plantes épineuses et des déjections humaines » (p. 136).
On ne résume pas le roman dAnanissoh, on se laisse porter par ses phrases, classiques et ténues : « Elle portait une robe qui sarrêtait à mi-cuisse. En sasseyant, elle releva les genoux ; le vêtement se retira un peu. » (p.133) Quest-ce quon songe au Gide de la Porte étroite en lisant certains passages. Normal, lécriture se ressent de ladmiration à peine celée que Théo Ananissoh porte à lauteur des Faux-Monnayeurs, lequel, prétend un aubergiste du coin (vérité ou mensonge commerciale ?) aurait séjourné à Lisahohé vers la fin de 1925 ! Une citation du Journal des Faux-Monnayeurs constitue lexergue de Lisahohé : « Le renoncement à la vertu par abdication de lorgueil. » Comme celle de son modèle, on peut dire dAnanissoh que son « écriture est comme inaccessible à la corruption, même quand il fait des aveux sur les affres du corps » (p. 62), au grand dam du lecteur, parfois floué par tant de retenue.
Théo ANANISSOH, Lisahohé, Roman, Continents Noirs, Gallimard, 2005, 144 p., 13 .