Au moment de partir pour la biennale littéraire Utan Kayu à Jakarta et Magelang, les organisateurs mont demandé de me préparer à livrer au public quelques réflexions sur les liens qui relient lEurope à lAfrique. Je nai pas dit non au sujet, mais jai gentiment proposé de faire autre chose. Ce qui mintéressait au fond, venant pour la première fois en Indonésie, cétait de comprendre comment par-delà lexpérience coloniale commune, il était possible de relier lIndonésie à lAfrique. Je viens juste de terminer un roman dont le sujet est lesclavage des Africains au Brésil, durant le dernier quart du 19e siècle. Et pendant que je travaillais sur ce livre, quelque chose ma sauté aux yeux : que ce soit au Brésil, en Afrique, ou en Indonésie, la présence de la Hollande dans les parages est un fait assez étrange pour être souligné. Doù le titre de mon exposé : Les liaisons hollandaises ou comment relier lAfrique à lIndonésie !
Je rappelle rapidement en quoi a consisté la présence de la Hollande au Brésil, pour ne plus revenir là-dessus, le Brésil nétant pas le sujet de ce texte. Ce qui suit résume brièvement laventure hollandaise dans le Nouveau Monde, cest un extrait de mon prochain roman, Le temps des caravelles, à paraître aux Éditions Gallimard à Paris, probablement en mars 2008, qui décrit la ville de Recife où était installé le siège du gouverneur militaire. « Recife, ville gagnée sur les eaux. Les digues et ponts, mieux que les façades et les styles baroques des maisons, rappellent le passé hollandais de la ville que nous traversâmes après le dîner au restaurant. Autrefois possession portugaise, la ville tomba au moins deux fois entre les mains des Hollandais qui y imprimèrent leur marque. La présence hollandaise y prit de lampleur durant le gouvernement du comte Johan Maurits van Nassau-Siegen. Ce militaire qui ambitionnait de se créer un royaume personnel sous les tropiques créa la capitainerie de Pernambouco, et établit le centre administratif colonial hollandais à Recife, sous le contrôle strict de la Compagnie des Indes Occidentales. Mais en 1644, Nassau-Siegen, voyant ses rêves dempereur contrariés, démissionna pour protester contre le trop fort pouvoir de la Compagnie. Peu après son départ, les colons portugais, soutenus par le Portugal redevenu indépendant de l’Espagne en 1640, se rebellèrent contre le pouvoir hollandais. En 1654, au bout de dix années de luttes, les Pays-Bas capitulèrent et, en 1661, ils renoncèrent officiellement à leurs revendications territoriales sur le Brésil. Pas étonnant donc que le Recife daujourdhui, par endroits, affiche un petit air dAmsterdam, avec ses îlots reliées entre elles par des canaux imposants. » Fin de citation.
En Indonésie, vous connaissez lhistoire mieux que moi, et je vais parler sous votre contrôle. Comme au Brésil, Portugais et Hollandais (encore les mêmes) croisent très vite le fer, une fois arrivés sur cet archipel que chacun convoitait. Dites-moi si cest vrai ce que raconte lhistoire officielle : « En 1641, les Hollandais prennent Malacca aux Portugais, qui perdent ainsi leur principale base dans la région. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, les Hollandais soumettent le royaume de Gowa dans le sud de Célèbes, tandis que des guerres de successions ravagent le royaume javanais de Mataram, qui finit par accepter à son tour la suzeraineté hollandaise. En 1799, la VOC est déclarée en faillite. Ses actifs sont repris par le gouvernement des Pays-Bas. De 1808 à 1811 Hermann Wilhelm Daendels, nommé gouverneur général des Indes néerlandaises par Louis Bonaparte, roi de Hollande, réforme l’administration coloniale. Thomas Stamford Raffles est lieutenant gouverneur de Java de 1811 à 1814. Par le Traité de Londres de 1824 entre les Anglais et les Hollandais, le contrôle des territoires revendiqué au sud de Singapour revient aux Hollandais. Le monde malais se retrouve divisé en deux. On considère que la création, cette même année, du Boedi Oetomo par de jeunes nobles javanais marque le début du mouvement national indonésien. Un « Serment de la Jeunesse » est prononcé en 1928, émettant le voeu de créer une patrie indonésienne. Le débarquement en 1942 des Japonais dans les Indes néerlandaises en pleine Seconde Guerre mondiale est accueilli par la majorité du mouvement nationaliste avec l’espoir d’obtenir l’indépendance. Le 17 août 1945, deux jours après la capitulation du Japon qui occupe encore les Indes néerlandaises, Soekarno et Hatta proclament l’indépendance. Soekarno est nommé président de la jeune république. Suivent 4 années de confrontation militaire et diplomatique avec les Pays-Bas, qui essaient de récupérer leur ancienne colonie. Finalement le 27 décembre 1949, la souveraineté sur le territoire des Indes Néerlandaises est formellement transférée du Royaume des Pays-Bas à une République des États-Unis d’Indonésie. »
Je mexcuse davance sil y a des points idéologiques contestables dans cette version de lhistoire indonésienne, comme il y en a dans toutes les histoires. Ce qui mintéresse cest de comparer les périodes dinstallation des Hollandais en Indonésie avec celles où on les retrouve en Afrique. Curieusement, ce furent également aux 17e et 18e siècle que leurs activités commerciales sont les plus florissantes sur le continent africain. Dans mon roman Le temps des caravelles, jai essayé de raconter la réputation calamiteuse des Hollandais, le long de la bande côtière qui allait du Ghana au Nigeria actuels, où ils avaient construit pas moins de quatorze forts, et chassé les Anglais et les Portugais (les pauvres, encore eux). Citation : « De temps à autre, le directeur du fort de Gléhué rendait visite au roi en son palais. Il est vrai que les occasions daller à la cour ne manquaient pas ; soit il venait de lui-même payer au souverain les taxes douanières imposées par le Trésor royal sur les transactions commerciales effectuées par les étrangers sur le littoral du pays, soit il venait en ami offrir au roi son allégeance et quémander sa protection contre les menées subversives des Hollandais et autres Anglais disséminés tout le long de la côte qui allait du territoire aurifère des Fanti aux rivières poissonneuses des Yoruba de Badagri. Il est vrai quà côté des quatorze forts hollandais et des sept forts anglais, lunique fort des Portugais faisait figure de cache-misère. Et cétait aussi vrai, quen dehors de leur possession dAngola, les Hollandais les avaient chassé de partout, aidés en cela par les Nègres eux-mêmes qui leur vouent une haine tout aussi teigneuse quimmémoriale. Les plus puissants, donc, sur la côte, en ce qui concerne lachat et la revente des êtres humains, les Hollandais le faisaient, souvent, ressentir à leurs frères de race. Impitoyables et voleurs, les Hollandais, manipulateurs et faux-monnayeurs ! Au fort dElmina, sur le territoire des Accra et des Fanti, racontait-on, il était arrivé que, au lieu de donner, comme il se devait, du bon or ou des marchandises comme salaire mensuel à la garnison pour leur entretien, ils distribuent du cuivre limé, ou de la limaille de cuivre doré, mélange dor et de corail rouge. Aucune nation ne pourrait se mesurer avec les Hollandais, haineux entre eux-mêmes, et méfiants vis-à-vis des Nègres. »
Certes, ceci peut paraître de la fiction, mais presque toutes les relations des voyageurs occidentaux sur la côte ouest africaine entre les 17e et 18e siècles confirment. Ainsi lira-t-on avec surprise et plaisir les descriptions dun marchand desclaves Danois sur la côte, Römer, dans son livre intitulé Le Golfe de Guinée 1700-1750. Au fond, lironie de lHistoire est telle que presque tout le monde aujourdhui en Afrique de lOuest a oublié cette présence hollandaise. Je ne sais trop quelle est la mémoire de la Hollande en Indonésie. Pour le Golfe de Guinée en tout cas, à part des traces matérielles comme les vestiges des forts utilisés pendant la période de lesclavage des Noirs, lesquels forts dailleurs ne sont pas des constructions hollandaises mais portugaises ou anglaises quils prenaient de force ou achetaient, à part ces traces discutables, le souvenir de la présence hollandaise fait partie des brumes de lhistoire violente de lesclavage des peuples. Même dans limaginaire des peuples de la côte, il y a un vide terrible lié à cette mémoire. Il faut descendre plus bas, vers la pointe australe de lAfrique, pour trouver enfin quelque vestige intéressant de la culture hollandaise. En effet, à la différence des autres pays du continent, lAfrique du Sud, comme lAmérique du Nord, sest construite grâce à lesclavage. Elle aussi a été une colonie néerlandaise de la Compagnie des Indes Orientales. Des Hollandais venus de Batavia (aujourdhui Java en dIndonésie) sont arrivés en 1652 accompagnés desclaves. Ces esclaves venaient dIndonésie, de Malaisie, de la côte orientale de lInde, de Madagascar, du Mozambique. Lhéritage de cette période est visible notablement dans la musique sud-africaine. En effet, les grandes plantations avaient des orchestres desclaves. Parmi les esclaves urbains, il y avait des musiciens. Là, il sest produit un marronnage culturel, à travers un type de musique, qui se manifeste notamment au moment des fêtes du Nouvel An. Sans tomber dans le cliché dune Afrique musicale, reconnaissons quand même que sans cette rencontre musicale entre Malais et Africains, le souvenir de la Hollande eût été aussi complètement effacé en Afrique du Sud, vu que la préoccupation des Hollandais, ici comme là-bas était avant tout commerciale. Comment donc relier lIndonésie à lAfrique, peut-être finalement à travers une étude de ce que ces deux continents ont apporté à limaginaire de lesclavagiste et du colon hollandais. Mais ceci est une autre affaire, nest-ce pas !?
©Kangni Alem
Août 2007
Le site de la Biennale :
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