1er octobre 2007. Remonter le temps à rebours. Je nai plus rien écrit depuis le début de la campagne. Trop de choses à la fois. Même pas le temps de masseoir pour noter mes impressions. Sans compter que jai pris la décision de ne plus rien écrire sur ce blog, qui ait trait à la campagne. Personne ne men empêche, oh non, au contraire. Mais ce qui se passe est tout simplement hallucinant : les coups bas entre les alliés dhier, les ambitions personnelles des uns et des autres, la démagogie et les mensonges des détenteurs du label « véritable opposant », cest-à-dire ceux qui ont hérité de leurs pères la mission de sauver les imbéciles de Togolais que nous sommes
, bref les manuvres des uns et des autres me forcerait à me positionner si je voulais tout relater.
Or, il se trouve que malgré mon engagement aux côtés de la CDPA du Professeur Gnininvi, malgré ma participation à son équipe de campagne, je garde lil critique, sur tout. Mais juge et parti en ces temps de propagande légitime est un exercice qui demande doublement du recul. Jai décidé donc de confier à mon bloc-notes secret mes impressions et jugements. Quand sera terminée la propagande, je reprendrai tout cela.
Il y a quand même une chose à signaler, cette campagne se déroule dans une ambiance bon enfant, pas de violence réelle, quelques accidents (incidents ?) lors des caravanes, un petit jeu pervers entre militants qui arrachent les affiches de leurs adversaires. Et un désordre indescriptible. Les programmes des partis sont inaudibles ou inexistants, la Haute Autorité de lAudiovisuel et de la Communication interprète les textes à sa manière, rejetant les enregistrements vidéo sous des prétextes futiles comme labsence de couleur de fond bleu Les médias privées tentent de vendre aux candidats les mêmes plans de communication, oubliant parfois denlever les noms des partis quand ils vont voir leurs adversaires den face, à mourir de rire, je vous jure. Ah, nous vivons une époque merveilleuse !
Les populations sont blasées, et regardent tout cela avec un sourire incrédule : on peut donc faire une élection au Togo sans quil y ait un décompte macabre ! Pourvu que cela dure, et que labstention (prévisible) ne soit trop forte ! Même mes propres surs menacent de ne pas aller voter, et jai beau tenté de parlementer, rien ny fait. Une de mes tantes, folledingue du parti de Gilchrist Olympio, à qui japportais des tracts, avec lespoir de la manipuler gentiment, sest ralliée à leur cause abstentionniste !
La fatigue est là tous les jours que Dieu fait. Et les gens continuent de minterpeller : « pourquoi nes-tu pas candidat ? » Je mamuse : « Oh, vous savez, je suis comme le patron du parti des Jaunes, je suis le Joker que lon réserve pour la présidentielle de 2010, lAssemblée nationale togolaise est trop petite pour moi ! » Ou bien, plus sérieusement, comme une dame de la HAAC et un militant du PSR, admirateurs disaient-ils de lécrivain et de lintellectuel : « M. Kangni Alem, pourquoi soutenez-vous un parti ? Vous, vous ne devriez soutenir personne, vous nous appartenez à tous, vous êtes un bien de la Nation. » Et le jeune étudiant du PSR de renchérir : « M. Alem, vous allez regretter votre choix dans 5 ans, jaurais préféré que vous soyez notre Glucksman togolais. » Un ami du CAR qui venait de se faire recaler avec le message vidéo de son parti, celui que mon pote Gaétan (salut Gaé !) a lhabitude dappeler dans son dos le « cow-boy », à cause de ses chaussures et de son allure de pistolero, se joint au lot de mes accusateurs, à ma grande surprise : « cest vrai Alem, toi tu ne devrais pas faire de la politique, cela ne veut pas dire que tu ne puise être bon dans ce domaine, tu comprends, mais bon on te respecte autrement quoi ! » Déjà, lui, depuis la fac, je trouvais quil navait pas de c , mais depuis quà son retour dexil (le mot fétiche des Togolais de la diaspora), il sest trouvé une petite place demployé aux côtés du Premier Ministre, il semble que ses organes aient poussé des radicelles dans son pantalon !
Raymond, qui était avec moi cet après-midi là, à la HAAC, mest témoin, je nai pas véritablement tenté de me défendre, mais cest vrai que je nai pu réfréner mon habituel sourire potache, genre philosophe raté. « À cette allure, se moque le même Raymond, on ira le déposer au Musée de Lomé, comme un trésor national sans jugement ni volonté ; à moins quon ne le prête à tour de rôle à chaque parti politique, un mois ici, un mois là-bas, non mais quest-ce vous racontez !? »
Hier, 1er octobre, je quittais le siège de la CDPA quand soudain un vieillard assis à côté de ma voiture minsulte, de façon rhétorique : « Tous des imbéciles, ils ne courent quaprès largent. Aucune idée dans la tête, ils ne courent quaprès largent. Élections, élections, nous, on a vu des choses dans ce pays ! » Je suis resté au volant sans démarrer, pendant presque une minute, pensif, vraiment pensif
Heureusement quil y a le jazz encore pour atténuer mes sentiments contradictoires. Quelquefois, à midi ou le soir avant de nous séparer, Raymond, Noé et quelques autres amis de léquipe communication du professeur Gnininvi, nous avons la chance den écouter dans le petit bar merveilleux en face du siège de la CDPA, rue Aklakou : un bar singulier, on ny joue que la musique des dieux blacks et on ny vend que des boissons étrangères, qui viennent du Ghana voisin, précisément de Kéta, bourgade qui faisait autrefois partie du territoire togolais, quand le Togo était allemand : « Prosit ! »
LÉternel bénisse le pays des parents abstentionnistes, des vieillards rhétoriciens, des cow-boys glandeurs, des accusateurs patentés et des jokers en T-shirts jaunes ! Tous, des gens qui minspirent.