Ouanilo et zones dombre autour du caveau de Bordeaux
(Par Roger Gbégnonvi)
Les ossements qui nous reviennent du chef-lieu de la Gironde en France ont failli rester à tout jamais oubliés des Français et des Béninois. On espère dailleurs que les os en question sont les bons. Au demeurant la question de leur authenticité ne se pose pas à partir du moment où la foi des détecteurs français rencontre celle des récipiendaires béninois et que les deux se croisent en une cristallisation de forte certitude au-dessus du caveau de Bordeaux.
Une petite précision, cependant, sur le nom. Pour un peu plus de clarté, il sorthographierait aujourdhui Waninyilo, ce qui signifierait à peu près puisse ton acte devenir proverbe, signification qui renverrait peu ou prou au très fameux impératif catégorique de Kant, agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe dune législation universelle. Trop loin chercher ? Venons-en donc à des considérations plus terre-à-terre.
Et ce sera essentiellement pour faire observer quen dehors du fait davoir été le fils de son monarque de père, Waninyilo naura pas fait grand-chose pour enrichir la panoplie de nos proverbes. Les historiens le présentent comme le fils préféré que son père emmena avec lui en 1894 dans son exil martiniquais où laccompagnèrent également lune de ses filles et cinq de ses épouses dont la mémoire, dans la glorieuse histoire, est passée royalement par pertes et profits. En exil, le roi aura dicté au petit prince sa version des raisons ultimes de la conquête du Dahomey par les Français, version publiée à Lyon en 1905 par le journaliste guadeloupéen Adolphe Lara. Et il est vrai que onze années de scolarité à la Martinique ont été largement suffisantes pour faire du fils le parfait secrétaire bilingue de son royal père. Celui-ci ne survécut pas longtemps à la publication de sa version de son fiasco, il mourut un an plus tard, en 1906, officiellement à Blida en Algérie. En 1928, la dépouille royale fut rapatriée à Abomey au milieu dun cortège solennel où figurait naturellement le fils préféré devenu entre-temps avocat au barreau de Bordeaux. Sur la route du retour, le jeune avocat mourut à lescale de Dakar. A propos de cette mort aussi subite que surprenante, lhistorien Dunglas écrit le plus sérieusement du monde que les Dahoméens sont intimement persuadés que Dada, le roi défunt, a rappelé à lui son fils tendrement aimé. Sans que personne à Abomey y ait poussé le monarque défunt en inoculant au fils tendrement aimé et vivant quelque philtre puissant à effet lent et non foudroyant, philtre administré pendant les obsèques aboméennes dont lhistoire dit quelles furent pompeuses ? Question inopportune et malheureuse ? Venons-en donc à des considérations moins inopportunes et plus heureuses.
Et ce sera pour passer opportunément sous silence la question inopportune de savoir pourquoi le cadavre princier na pas été immédiatement rapatrié à Abomey mais dabord à Bordeaux après avoir séjourné longuement à Dakar. Toujours est-il que son retour au palais 78 années plus tard ne soulève pas lenthousiasme des foules, ni béninoises ni danhoméennes. Ignorance ou indifférence ? Peut-être un peu de chacun de ces ingrédients pour le silence que lon entend et qui est proche du mutisme. La presse de Cotonou, dhabitude si bavarde, ne sétrangle ni ne sépoumone à faire du débarquement des ossements de Waninyilo un événement national. Régional dans une partie du Littoral-Atlantique et local dans lensemble dAbomey ? Même pas ! Il faut dire que les situations ont tellement évolué et que les populations ont tellement de chats vivants à fouetter quelles en sont devenues capables de passer à côté doctogénaires ossements sans sarrêter. Un petit problème, par exemple, ce sont les deux rois coincés aujourdhui sur lunique trône abandonné par lunique père de Waninyilo. Sils vont ensemble à laccueil solennel des ossements princiers, quelle rancur et quels regards courroucés ! Ambiance. Et si, retrouvant spectaculairement vigueur et faconde, le jeune avocat
mort déchirait le voile de la grande hypocrisie et, dans un effet de manche forcément spectral, envoyait paître tous les hypocrites et exigeait le retour immédiat de ses ossements dans le caveau de Bordeaux aux multiples zones dombre ! Ambiance.
P.S. Les photos d’illustration ont été prises au cimetière à Bordeaux par mon ami Jean-Norbert Vignondé, je le remercie de ce reportage de qualité!