Le méli-mélo malien…

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La crise au Mali et l’opinion

(lu sur le blog de Thierry Perret)

Intéressant de noter, dans l’actuelle crise qui sévit au Mali, comment la perception du « problème du Nord » a changé dans les médias européens. En 1990, année qui marque la résurgence de la révolte touareg suivie par les accords de Tamanrasset (janvier 1991), jusqu’à la signature avec les Mouvements et fronts unis de l’Azawad (MFUA) du Pacte national d’avril 1992 et au-delà, l’opinion internationale est massivement favorable à la rébellion. Dans son livre Le Mali sous Alpha Konaré, Pascal Baba Coulibaly rappelle que « les MFUA (avaient) réussi une extraordinaire campagne de communication dans les grands médias occidentaux et au sein de la classe politique européenne. Un véritable SOS est lancé pour sauver les « hommes bleus » du « massacre » perpétré par les Noirs, leurs anciens esclaves… (tout ceci a notamment pour conséquence) la convocation du Mali en décembre 1994 devant le Parlement européen. »

Rien de tel en 2012. La connexion du mouvement touareg avec la mouvance islamiste et le terrorisme rend celui-ci beaucoup moins attrayant. Pourtant les revendications, sur le fond, n’ont pas changé, et chacun admet que la question du Nord est toujours un problème de développement. Mais on est un peu mieux informé sur les divisions et stratégies divergentes de la rébellion, sur l’environnement criminel qui s’est instauré dans le « septentrion » malien, en proie à tous les trafics (drogue, armes et enlèvements rançonnés) ; et l’opinion est alors prête à admettre que l’Etat malien est, seul, impuissant à faire face à tant de sources de conflits, quand le reste du pays connaît lui-même une panne de développement.
C’est important à noter, à l’heure où la déclaration unilatérale d’indépendance de l’Azawad ne ravit personne et apparaît comme une véritable erreur de stratégie (et de communication) du Mouvement national de libération de l’Azawad – MNLA, au moment où celui-ci est visiblement débordé sur ses flancs par la tendance islamiste de la rébellion.
Parlons du MNLA. La presse répète à l’envi que ce mouvement est laïc et opposé au djihad pour la Chari’a, porté par ses concurrents targui. Elle reproduit en cela les propos de quelques spécialistes français qui tiennent au distinguo : André Bourgeot, Pierre Jacquemot et surtout Pierre Boilley sont de ceux-ci. Leur connaissance du terrain est indéniable, mais comme souvent, les experts livrent une vision figée de processus qui sont avant tout politiques, et donc mouvants. Ils pourraient aussi souligner avec force le fait que les alliances et postures n’ont cessé de fluctuer, tout au long de l’histoire de la révolte du Nord, que les interlocuteurs d’hier peuvent devenir – et n’ont cessé d’être – les adversaires du lendemain. Ou encore qu’il n’y a pas chez les Targui de structure politique pérenne et encore moins de sentiment unitaire, quand les relations claniques, les positions sociales, que ces spécialistes connaissent fort bien, définissent pour une part l’orientation changeante du combat, mais pour une part seulement.
Parlons pour l’illustrer de Iyad Ag Ghali, leader d’Ansar Ed Dine, donc la version islamiste qui veut imposer la loi coranique : il n’est pas nécessaire aujourd’hui d’appartenir à une officine de renseignement pour connaître le parcours de cette figure de proue de la révolte des Ifoghas en 1990. Récupéré, et sans doute acheté, par le pouvoir malien après la conclusion du Pacte national, il en est le conseiller (à la présidence) dont tout indique dans la deuxième moitié des années 90 qu’il est rentré dans le rang. Bon vivant, amateur de filles et d’alcool, tacticien subtil, il rend de multiples services et en 2004 se signale comme négociateur dans la libération d’otages allemands par le GSPC algérien (fondé en 1998 et opérant dans le Sahara dans les années 2000), qui devient Aqmi à cette période.
Sa conversion au salafisme, remontant selon Pierre Boilley à la fin des années 99, a été de ce fait très opportune, dans la mesure où son rôle dans l’infiltration pour le compte du Mali et de l’Algérie des katibas algériennes du GSPC puis d’Aqmi est plusieurs fois mentionné. Il demeure toutefois ancré dans une action propre au contexte malien, lorsqu’il prend la tête en 2006, nouvelle période de réactivation de l’agitation touareg, de l’Alliance démocratique du 23-Mai pour le changement. Nouveaux accords de paix, et envoi de Iyad Ghali comme consul du Mali à Djedda. A son retour d’Arabie Saoudite, il fraternise en 2010 avec le MNLA avant de fonder en octobre 2011 Ansar Ed Dine – dont il faut souligner qu’il est différent du mouvement religieux de prédication portant le même nom, déjà bien connu au Mali où son influence était grandissante ces dernières années. Ce qui n’a pas empêché le même Ag Ghali d’être auparavant mandaté par Bamako comme négociateur en octobre 2010, pour la libération des otages d’Areva détenus par Aqmi… Il n’est pas le seul à avoir été successivement – ou simultanément – dans tous les camps, on pourrait trouver beaucoup d’autres parcours individuels semblables.
La leçon de tout ceci ? C’est que les alliances et ralliements ne cessent de s’adapter aux intérêts du moment, et que la situation rappelle très classiquement le vieux principe d’action des services de renseignement, consistant à créer des groupes opportunistes afin de susciter la division au sein des mouvements insurrectionnels : Iyad Ag Ghali avait déjà été utilisé contre son ex compagnon Ibrahim Ag Bahanga, fondateur en 2007 de l’Alliance touareg du Nord-Mali pour le changement (ATNMC) ; et tel est apparu initialement aux observateurs la fonction d’Ansar Ed Dine, dans une nébuleuse déjà passablement agitée.
Bien que les médias en fassent assez peu état, le rôle de l’Algérie est central, bien sûr. Le pays a présidé, en concurrence avec Kadhafi, à tous les accords de paix au Mali depuis 30 ans. Son influence sur le MNLA est certaine, et l’on a avec justesse souligné l’effort algérien d’équipement et d’appui à ce mouvement, et d’autres, pour lutter contre Aqmi. L’enlèvement du consul algérien à Gao était un message clair; il paraît avoir été perpétré par Belmokhtar, un des dirigeants d’Aqmi et ennemi désigné de longue date par Alger. Qui sait aussi que les interlocuteurs targui, comme ils l’ont souvent démontré, peuvent jouer leur propre partition, tandis que la chute du régime malien a introduit une dimension inconnue dans le jeu au Nord. Il est certain que le MNLA, qui a fréquemment droit aux colonnes des quotidiens algériens, est “sous observation”.
La France est régulièrement accusée ces dernières semaines dans les blogs, les journaux notamment maliens (ou même algériens !), d’avoir ourdi la chute d’ATT. Un tel scénario satisfait les obsédés du complot international, qui a trouvé une nouvelle vigueur avec l’intervention en Libye. Mais c’est un scénario irrationnel. Si Paris était en effet mécontent – et l’a fait savoir – de la tactique trop feutrée et devenue inadaptée aux circonstances du président malien, son intérêt ne pouvait être de déstabiliser le Mali, précisément après la Libye, dans un Sahel déjà déliquescent… ceci au moment précis où un autre pouvoir allait se mettre en place à Bamako, avec lequel il était possible de tout remettre à plat. Si un “stratège” a pu penser à une telle intrigue, on peut l’affirmer : c’est un irresponsable doublé d’ un exalté ! Mais le dire et le répéter, apparemment, ne suffit pas à calmer les spéculations : oui, mais Paris a pris langue avec le MNLA, souligne-t-on. Ce faisant, la France était en phase avec l’Algérie et souhaitait examiner tout ce qui peut faire rempart à la mouvance islamiste. Bamako n’a d’ailleurs pas agi autrement, au gré des circonstances.
Le relatif consensus entre Algériens et Français sur la gestion de sortie de crise au Mali est le seul véritable élément portant à l’optimisme. On évitera pour ne pas être désobligeant d’évoquer le rôle de la Cedeao, qui pour l’heure est de l’ordre de la nécessité symbolique. Dans ce contexte, une intervention militaire directe (parfois réclamée au Mali ou chez ses voisins francophones) de la France aux côtés du Mali était la pire initiative à prendre, lorsque l’on sait l’hostilité algérienne à toute ingérence dans son pré carré.
La responsabilité d’Alger en est augmentée : le Sahel malien n’est plus le lieu de pragmatiques arrangements entre factions ou d’opérations de police militaire, mais un chantier politique complexe. Ahmed Ouyahia, actuel Premier ministre, peut le savoir : il fut ambassadeur au Mali en 1992 . Il est vrai que des élections législatives (10 mai) rendent sa position fragile. De même que la campagne pour les élections françaises a amorti ce qui aurait pu être une réaction plus vive de la France. En attendant l’exploitation d’un pétrole qui demeure aujourd’hui une chimère médiatique, et en dépit des désaccords sur le traitement de l’immigration clandestine malienne en France, le Mali n’est heureusement ni un enjeu économique suffisant, ni un argument de campagne.
L’opinion malienne a été choquée, traumatisée par les exactions commises dans le Nord et par les images et témoignages de ses réfugiés. C’est une des urgences à traiter, avant que le fossé entre communautés ne devienne infranchissable. Si le futur gouvernement malien a aujourd’hui une priorité, c’est bien celle de s’attaquer à la fameuse question nationale, laquelle ne se résume pas à la reconquête du Nord. Nombre de citoyens targui (ou arabo-berbères) vivent en paix sur l’ensemble du territoire et redoutent d’être pris pour cible des représailles populaires. Leur sécurisation et la lutte contre les surenchères ethnico-nationalistes, ces surenchères auxquelles ont ouvert la voie « le plus lamentable putsch des annales maliennes », est une exigence cruciale. En dépit des affirmations martiales du nouveau président intérimaire (mais elles ont une valeur d’atténuation des rancœurs), il faudra négocier avec la rébellion du Nord : on ne négociera pas avec elle sur la base de pogroms.

Source de l’article: http://mali50.wordpress.com/2012/04/14/la-crise-au-mali-et-lopinion/

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