
Paul Ahyi, 80 ans!
Notre dernière rencontre physique remonte à très longtemps. Un jour de 1996, je l’avais rencontré à un vernissage à Lomé et il m’avait invité chez lui. Il faut dire que nous avions eu une discussion assez corsée sur le fait qu’il était le seul plasticien togolais à bénéficier des marchés publics pour la décoration des bâtiments publics. Il avait reconnu les faits et argumenté son point de vue: malgré toutes les critiques, il était, disait-il, pour son époque, le seul designer dans la sous-région à maîtriser ce type de grands travaux. Et c’est vrai que de Lomé à Ouaga, en passant par Cotonou, on trouvait de ces travaux sur plusieurs bâtiments d’envergure. J’ai souri, puis rétorqué que sincèrement on donnerait à un Assou Kossi les mêmes opportunités il pourrait relever le défi. Puis, pour finir ma critique, je lui ai demandé pourquoi il n’arrêtait pas de dessiner des femmes dans tous ses tableaux et sculptures géantes? Il a souri puis m’a demandé si je pouvais passer chez lui à la maison? Ce que j’ai fait le lendemain à midi. Je me suis rendu chez lui dans sa belle villa cachée dans une rue non loin du Lycée de Tokoin!
Accueilli à bras ouverts par son épouse, nous sommes passés dans le salon magnifiquement décoré (la moindre des choses pour un designer) et nous avons mangé. Ambiance relaxe, l’homme avait des anecdotes à n’en plus finir sur l’art, et les femmes. J’ai appris de lui la confirmation que l’obsession de la femme n’est pas futile chez un artiste, puisqu’elle était l’origine du monde, donc le creuset de toutes les interrogations. Super Paul Ahyi. Je suis resté avec lui pendant presque deux heures, puis au moment de partir, il me dit d’attendre: il monta à l’étage puis revint quelques minutes plus tard avec un dessin dans les mains. Il l’avait fait pour moi, spécialement, me dit-il. Ma joie intérieure fut sans borne. Quelques années plus tard, en 2003, j’ai offert le dessin à mon tour à une amie qui écrit de la poésie, une grande admiratrice de Paul Ahyi, elle est restée sans voix: et pour cause, c’était un beau portrait de femme noire!
Heureux encore que l’État togolais ait reconnu de son vivant le talent du premier plasticien togolais à avoir porté loin le nom de ce pays tourmenté. Et sa mort, à quelques mois du cinquantenaire de l’Indépendance, pour celui qui a conçu et dessiné le drapeau national, est un présage triste de nos divisions éternelles, de notre retard douloureux. Paul Ahyi s’en est allé au moment où le drapeau allait flotter dans le ciel pour notre prétendue maturité. Puissions-nous comprendre les présages. Salut boss!
Réécouter l’artiste: http://www.rfi.fr/radiofr/editions/072/edition_48_20080219.asp