L’animisme, selon l’écrivain Gaston-Paul Effa : une philosophie

Imprimer

sarrebourg-un-essai-de-gaston-paul-effa-sur-l-animisme-1451166188L’animisme n’est pas le propre que de l’Afrique, mais de loin, il demeure un système de pensée qui conditionne la manière de vivre de bien des peuples du continent. Elle est à l’origine, aussi, d’une certaine poétique (voire d’un certain état esprit contemplatif) dans les récits de plusieurs auteurs africains. On citera au passage trois classiques du genre, à l’instar de l’énigmatique Laurent Owondo (Au bout du silence), ou mieux du délicieux Idé Oumarou (Gros Plan) ou encore de l’excellent Paul-Yao Akoto (L’envol des tisserins). Chacun y va de son regard sur le phénomène, considéré encore au début du dix-neuvième siècle par certains ethnologues comme le stade inférieur d’une évolution religieuse, où la croyance aux esprits conduisait ensuite au polythéisme, puis au monothéisme. Conception discutable, tant on connaît, de nos jours, le schéma de l’évolution des religions selon les civilisations y afférentes. Dans son dernier récit aux fausses allures d’essai, Le dieu perdu dans l’herbe, sous-titré L’animisme, une philosophie africaine (Paris, Les Presses du Châtelet), l’écrivain camerounais Gaston-Paul Effa s’écarte de cette conception religieuse de l’animisme, qu’il décrit comme une pensée en action, une philosophie de vie à l’opposé, radicalement, des conceptions philosophiques occidentales. C’est en observant son père, venu en France se soigner, se préparer à mourir, que le narrateur du récit, curieusement, se souvient de son initiation à l’animisme quelques années auparavant, sous la conduite d’une pygmée dénommée Tala. Une initiation au cours de laquelle toutes les références culturelles occidentales du narrateur, professeur de philosophie comme Gaston-Paul lui-même, vont voler en éclats.

Pour que l’initiation ait des chances d’être une réussite, l’idée même de la raison est ce dont il faudrait se défaire. « La raison ne reconnaît que ce qu’elle a démontré… » Comprendre les choses muettes relèverait d’une autre initiation, celle qui conduit au silence, lequel installe non pas dans la contemplation ni dans l’étonnement aristotélicien, mais dans l’écoute même de l’âme des choses (anima). Le narrateur décrit par exemple sa rencontre avec la pygmée Tala, laquelle la soumet à l’épreuve de l’isolement pendant des heures dans la forêt, avant de finalement le recevoir. Livré à lui-même dans un environnement pas du tout familier, il lui faudra aller puiser dans ce qu’il ressent physiquement d’abord, au lieu de se fier à ses connaissances intellectuelles. Si les dialogues entre la praticienne et le narrateur constituent le gros de la première partie du livre, la deuxième partie se présente sous la forme d’un manuel pratique de conseils que Tala donne aux personnes venues la consulter. Les sujets de consultation sont variés: quel est le meilleur régime alimentaire?/Les problèmes de digestion/la stérilité/comment réussir sa vie/qu’est-ce qu’être bon ou méchant?/que signifie « être civilisé »? J’en passe et des meilleurs. Le livre se clôt sur un florilège de proverbes et maximes africains, donnés en viatique pour un exercice pratique de philosophie de vie, je suppose. Je vous offre celui-ci pour un usage intempestif: « Demande conseil à ton ennemi et fais le contraire. » Gaston-Paul Effa, vêtu des habits d’un Birago Diop et d’un Lao Zi, vous bluffera jusqu’à la dernière ligne: « L’animisme est une voie d’allègement… toi qui craignais d’être seul, voici que tu fourmilles. Bientôt tu seras oiseau ou serpent. L’animisme te ramène à ta naissance et à la naissance du monde. » Je ne sais pas ce que la lecture de ce formidable récit philosophique produira comme effet chez un lecteur ultra rationnel, mais moi je vous avoue que je n’ai pas cessé de réfléchir après avoir refermé le bouquin. Allez, tiens, je m’en vais tenter d’aller écouter ce soir les fleurs dans mon jardin! Je vous souhaite une semaine animée !

2 thoughts on “L’animisme, selon l’écrivain Gaston-Paul Effa : une philosophie”

  1. Philosophie à travers l’animisme. L’animisme au travers la philosophie. Merci professeur pour cette photographie prise de l’oeuvre de Gaston-Paul Effa. Comme j’ai envie d’exploiter les graines de pensées de ce livre. Vive la littérature négro-africaine…!!!

  2. Un autre livre sur le sujet de la mentalité mystique en général et sur le mysticisme africain en particulier, est en cours de publication en France. Ce sera le troisième titre d’un tout jeune auteur de vingt-deux ans, Togolais au nom de plume de Joris KODJO. Il a donc déjà fait paraître deux ouvrages aux titres évocateurs: Critique de la Raison Sociale, pour le premier et Friedrich Nietzsche pour le second. Le troisième qui s’intitulera Aurore comme je le disais, est en cours de publication et sortira dans les mois qui suivent. Aux intéressés, il est possible d’en savoir un peu plus sur les deux précédents ouvrages en se rendant sur le site de Google et en tapant simplement la recherche Joris KODJO suivit du titre de l’un ou l’autre des ouvrages susnommés. Mille excuses à M. Alem d’user de son blog pour la promotion d’un autre auteur mais, j’ose croire qu’il consentira lui aussi malgré tout à se pencher sur ces deux livres dont la lecture ne pourra qu’être assurément bénéfique à quiconque le lira. (Notons peut-être que l’auteur est né au Togo, étudie et vit aussi au Togo.)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.