par Patrice Nganang
(écrivain camerounais)
Tout rapport du procès de Charles Ghankay Taylor devrait commencer par un portrait de lhomme, car en réalité celui-ci est plutôt de taille moyenne. Quil aime la mollesse et que pendant longtemps il en a eu lhabitude, cela se voit à lair relaxe quil a de senfoncer dans son fauteuil de cuir, avant découter ceux qui laccusent. Quil a lappétit des beaux costumes, cela ne peut échapper à personne qui le regarde, et encore moins à un Camerounais. Quil adore par dessus tout les pierres précieuses, cela il le montre lui-même, lui qui durant les assises dhabitude soutient sa tête de ses mains aux doigts serrés dans deux grosses bagues brillantes, et au poignet gauche orné dune montre aussi dorée que chère. Sa penderie va bien entendu plus loin que le deux-pièces formel dont les accusés shabillent souvent aux tribunaux, comme pour cacher leur visage douteux dans limpersonnel dun accoutrement de commun bureaucrate. En veste sombre dhabitude, sa cravate, rouge aux raies noires hier, bleue claire aujourdhui, épouse la pochette qui tombe de sa poitrine quil tient bien volontiers bombée en avant. Et sa chemise blanche sachève aux poignets de ses manches, chacune sur une grosse brochette dorée taillée aux formes de lAfrique.
Un coup dil rapide aurait trouvé une certaine élégance à cet homme au teint clair, rasé bas, et aux cheveux courts grisonnants, mais très soignés. Ce coup dil aurait peut-être insisté sur la beauté de ce Narcisse qui écrit méthodiquement ses remarques dans un cahier de notes, en lignes claires des mots saisis en deux blocs, lun avec un bic vert et lautre avec un bic rouge. De cet homme qui certainement se regarde longtemps tous les matins dans le miroir de sa cellule après sêtre parfumé, il aurait fait un esthète sil ny avait ces témoignages et accusations à vous dresser les cheveux sur la tête et à vous couper le sommeil, qui couvrent son costume de sang et ses pages de morts, portés quils sont contre lui dans la salle même du Tribunal Spécial du Sierra Léone. Le jour de la reprise du procès, le 7 janvier 2008, en premier par Ian Smillie, membre dun panel de lONU et auteur de linfluent rapport The Heart of the matter sur linscription de la guerre civile libérienne et sierra léonaise dans le commerce mondial des blood diamonds. Puis par Alex Tamba Teh, frêle pasteur qui a vu défiler devant lui des enfants soldats, des fillettes à peine pubères jetées en esclavage, violées, des gosses amputés en même temps des pieds et des mains ; qui a vu ici et là sallumer des bougies (c.à.d. des villages mis en feu), a compté plus de cinquante morts devant une mosquée, et a manqué lui-même de devenir cadavre, par une de ces ironies dont vous déciderez vous-mêmes, cher lecteur, sil faut en rire ou en pleurer. Mené après 72 heures de marche, devant Bobor Samai, alias Sam Bockarie, alias Mosquito, qui se révèlera être son ancien élève et était alors le bras droit de Taylor au Sierra Leone, il lui est demandé de joindre la révolution rebelle comme major. Silence de lancien maitre à qui la peur de son écolier de jadis a arraché la voix, mais qui finalement sur insistance du chef rebelle, trouvera ceci comme réponse : ce nest pas que je refuse de joindre la rébellion, mais en tant quhomme de Dieu, la position de major est trop petite pour moi. Quelle position veux-tu alors ? lui demande Mosquito interloqué. Marechal. Eclat de rires du chef des rebelles. Comment puis-je faire de toi un maréchal, lui demande-t-il enfin, quand ni moi, ni mon chef, Charles Ghankay Taylor ne sommes des généraux cinq étoiles?
Alex Tamba Teh naura la vie sauve que parce que les chefs rebelles décideront de voter pour savoir sil fallait le tuer ou le laisser en vie et parce quil gagnera ce vote avec une infime majorité ! Ironie de la démocratie qui nous rappelle le salut quelle porte jusque dans les fonds les plus noirs de la peine dun homme à qui les rebelles mettront en fin de compte un bout de bois dans la bouche et frapperont la tête à lui arracher toutes les dents. Ironie de la démocratie qui nous rappelle ce vote qui dans les Euménides, sauva la vie à Oreste. Les Seigneurs de la guerre nont-ils pas fait lAfrique replonger dans lantiquité ? Le prix de lélégance de Charles Taylor, dune cruauté barbare qui littéralement nous laisse sans voix, se trouve pourtant dans un commentaire, extrait dun autre témoignage à son procès, celui cette fois de Varmuyan Sherif, attaché quil était à la sécurité personnelle du dictateur, et témoin de bien des folies de ses patrons. Sétonnant de lexécution sommaire de cinq personnes devant lui par Mosquito, il se demande, analysant par-dessus sa narration dune réalité qui lui échappe encore : maybe he wanted to prove to us that he is a strong man. Et voilà que se résume le portrait du personnage même qui peuple encore autant notre imagination contemporaine (voir par exemple lanalyse par Karin Barber de la strongmania au Nigeria), quil ensanglante bien de nos Républiques le potentat. Et lélégance de Taylor à la barre ? Peut-être veut-il par là nous prouver quaprès tout, il est un grand.
La Haye, 10 Janvier 2008 –