Hommage à Agba de Landa (1956-2015)

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L’oeuvre d’un auteur se clôt avec son départ de ce monde. Théoriquement, sous réserve 2015-12-01-12-06-28-921485963que ses amis, sa famille  et son éditeur n’exhument un jour des inédits, l’oeuvre du romancier togolais Agba de Landa, lequel signait à ses débuts Esso-Wêdéo Agba) a connu son point d’orgue ce 17 novembre 2015. 

J’ai connu l’homme, dans le cadre de mes activités associatives, alors qu’il était encore secrétaire général du Ministère des finances et de l’économie. Il aimait rendre de menus services à ceux qui le sollicitaient. Avant cette rencontre, j’avais lu son premier roman, Si l’idée ne germe, publié en 1999 aux Nouvelles Editions Africaines du Togo. Nous sommes devenus amis par la suite, malgré les réserves que j’avais exprimées sur l’écriture de son premier opus! Il était trop chrétien pour être rancunier, de toute façon. Sa foi, aussi discrète que celle d’un David Ananou, faisait de lui un homme au commerce affable, courtois, et imprégnait sa vision romanesque, comme dans cette réflexion à la page 9 de Si l’idée ne germe, roman dans lequel l’auteur et le narrateur se confondent: « Qu’on se le dise! La justice, la bonté, la vérité ainsi que leur contraire d’ailleurs, produisent de récompense ici et maintenant, avant les tribulations, l’enlèvement annoncés, avant que le bon, le juste, l’honnête empruntent la porte étroite de droite, celle céleste qui mène au bonheur sans mélange et sans fin; avant même que le méchant, l’injuste, le malhonnête descendent dans les obscures demeures des cruelles et éternelles souffrances. » Partageait-il toujours à la fin de sa vie ce point de vue de son narrateur, lui qui en était proche, et avouait avoir lu Thomas Mann? Son deuxième roman, Les Germes étouffés (Lomé : Graines de Pensées / Abidjan : Les Editions Eburnies, 2005) fera la part plus belle encore à la réflexion qu’à la narration artistique. Ce qui fera dire au critique togolais Koffi Anyinefa que « ce texte est beaucoup plus proche de l’essai que du roman ». Qu’à cela ne tienne, le genre romanesque est souple, et les préoccupations d’Agba, dans l’écriture de ce roman, même le critique le reconnait, sont de l’ordre du « plaidoyer pour une approche moderne de la vie, tout en insistant sur l’importance de l’école et l’épanouissement de l’individu au sein d’une société démocratique. On peut même admirer le franc-parler de l’auteur qui propose un diagnostic intéressant du retard pris sur le développement dans un pays qui n’est que le Togo. » C’était cela aussi, Agba, Isaac pour les intimes, ses fonctions ne l’empêchaient pas d’avoir un avis de citoyen! Un jour que j’avais déclaré dans une interview que la neutralité politique est une posture mensongère, il avait tenu à me voir, et m’avait développé, les yeux dans les yeux, son point de vue aux antipodes de mon « assurance théorique », disait-il. Lui se sentait neutre politiquement, m’assura-t-il, même si ce n’était pas une évidence pour beaucoup, au vu de son statut social!

Était-il un écrivain chrétien? Je ne saurais l’affirmer sans réserve, je constate seulement qu’au cœur de ses trois romans, le christianisme demeure un fil rouge intéressant autour duquel il faisait évoluer ses personnages toujours empêtrés dans un dualisme ruralité/modernité. Chez Agba, l’influence d’André Gide est manifeste dès le premier roman, dont le titre rappelle l’autobiographie du français, Si le grain ne meurt. Son dernier livre, La ballade des misères,  à partir duquel il prit le pseudonyme Agba de Landa, confirme définitivement l’attachement au moralisme gidien transposé sous les tropiques et dans un contexte rural. Au travers de l’histoire d’un couple en rébellion et de sa propre histoire, le narrateur dépeint une Afrique rurale déchirée entre rites et modernité, entre animisme et christianisme, entre son identité profonde et les séquelles de la colonisation. Au-delà de la dénonciation des mariages forcés, du carcan des croyances gangrenées de charlatanisme, il s’interroge sur les possibilités d’évolution d’un peuple dont la tradition nourrit l’âme mais qu’elle paralyse aussi sous son joug. C’était un écrivain moraliste qui aimait les idées claires, et un lecteur vorace chez qui on trouvera facilement les traces des Saintes Écritures mais aussi de Toni Morrison, Baudelaire, Montesquieu, Charles Dickens, Steinbeck… Il faut le relire attentivement pour y croire! Je sais qu’il rirait s’il me lisait, lui qui aimait me moquer gentiment: « Alem, comment peux-tu être auteur et critique des autres auteurs? Laisse cela aux autres. » Je rêvais de le programmer au prochain festival Filbleu,  si sa charge de diplomate auprès de la Zacop, cette fois-ci, lui en laissait le temps, pour parler de l’ensemble de son Lécrivain-Agba-Esso-Wédêo-Photo-Gaëtan-Noussouglooeuvre. Il est parti à jamais, avec sa voix espiègle, et son assurance que malgré la noirceur du monde, il appartient aux hommes d’en éclairer les pistes. Paraît-il qu’il était parti distribuer des dons à des écoles au nord du pays, et que c’est au retour de ce voyage d’éclaireur que le mal l’a emporté. Qu’il repose à jamais, dans la certitude de cette lumière à laquelle il croyait tant!

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