Grand Satan et le paralytique
Un soir, à Adidogomé, en plein centre du quartier, un pasteur « chauffait » son assemblée.
Le culte avait commencé vers 19 heures.
Le pasteur était, sans doute, un digne disciple dAkofala, fondatrice de la secte « Zion », « envoyée de Grand Dieu » et « détentrice de la vérité » une des deux veuves de lancien président Grunitzky.
En pleine forme, le ministre du culte tapait dans ses mains et hurlait et excitait la foule des fidèles et glatissait, rappait, swinguait et tapait dans ses mains et allait et venait et glougloutait, rappait, swinguait et tapait dans ses mains et suait à grosses gouttes et hululait, rappait, swinguait et tapait dans ses mains et se calmait un instant puis reprenait son souffle et coassait, rappait, swinguait et tapait dans ses mains et retrouvait toute sa vigueur et cacardait, rappait, swinguait et tapait dans ses mains et les fidèles « zionistes » répondaient, répondaient, répondaient, répondaient, répondaient, répondaient tous en choeur
– Dansons et battons du tambour ! Frappons le sol du pied ! Nous sommes ici par la volonté de qui ?
– Nous sommes ici par la volonté de Grand Dieu !
– Qui nous guide ?
– Grand Dieu seul nous guide !
– Si Satan arrive
– Nous le foulerons aux pieds !
– Si Satan arrive
– Nous allons le piétiner, lécraser et le concasser !
– Si Satan arrive
– Nous allons le broyer, le moudre et le râper !
– Si Satan arrive
– Nous allons lui enfoncer un cactus dans le cul !
– Si Satan arrive
– Nous allons lui piler de lail dans lanus !
– Et du gingembre !
– Alleluiah !
– Et du piment !
– Amen !
– Si Satan arrive
– Nous allons lobliger à retourner en enfer !
Et chacun ségosillait et tout le monde
– Alleluiah ! Amen ! Loué soit le Seigneur !
sépoumonait tandis quun groupe dexcellents musiciens, composé dun sonneur de gong, dun joueur de maracas et de quatre batteurs de tam-tam (chaque instrumentiste interprétant son propre tempo et « complétant » ceux des autres enrichissant, mettant en évidence ou nuançant parfois les rythmes des autres ou les « interrogeant » ou les « rappelant à lordre » mais sans jamais les contredire), transportait les prières des exhaltés jusquau ciel et jusquen enfer
Et ne voilà-t-il pas que, vers 22 heures, Satan en personne (le visage dissimulé derrière un masque qui le fait ressembler à Adjibossou, le corps recouvert damulettes, habillé de sacs de jute en lambeaux, armé dune fourche à trois pointes (chauffées à blanc dans un feu de braises ardentes) et dune « cravache de cheval » (en cuir tressé avec de méchants petits nuds au bout) et portant un cellulaire
– On ma bippé ?
suspendu à son cou par une chaînette, samène sur son cheval (un alezan à la robe brun rougeâtre, piaffant et hennissant) et
– On ma appelé ? On a cité mon nom ?
fait irruption dans la concession du pasteur, brandit son trident et
– On me cherche ? On a besoin de moi ?
tempête, se déchaîne, invective et
– Ainsi donc, cest vous qui mempêchez de dormir tous les soirs ? Cest vous qui voulez me piétiner, mécraser et me concasser ? Cest vous qui prétendez me broyer, me moudre et me râper ?
vocifère et
– Eh bien, sautez maintenant ! Sautez ! Sautez ! Sautez !
éperonne son cheval à petits coups de talon secs et le fait se cabrer et
– Nassogne ! Nassogne ! Nassogne ! Nassogne ! Nassogne ! Nassogne !
du haut de sa monture frappe les paroissiens avec sa cravache et
– Nassogne ! Nassogne ! Nassogne !
les recrache et les évacue et les cingle et les fouette et les chicote et les châtie et les terrifie et les humilie et
– Sautillez ! Sautillez ! Sautillez !
les flagelle et les fustige et leur fesse le cul et leur sangle les jambes et leur zèbre les épaules et les ridiculise et
– Sautez ! Sautillez ! Sautez ! Sautillez ! Sautez ! Sautillez
les invite au repentir
Lassemblée se disperse aussitôt, dans le plus grand désordre.
Personne ne pense à appeler au secours.
Et pour cause…
On ne peut pas, en effet, solliciter lintervention du commissaire du quartier et de ses fonctionnaires de police pour chasser Satan. Cela ne ferait pas très sérieux. Dautant plus quil ny a pas de commissariat de police à Adidogomé. La bourgade « au pied du baobab » se situe, en effet, très loin du centre de Lomé après Aflao-Gakli, Bè-Klikamé, Atikumé, Ave Maria (où habitent à présent Claver, le frère cadet de Gougoui, sa femme et leurs trois enfants, dans la maison de Kinvi qui, lui, sest provisoirement exilé en Côte dIvoire, à lUniversité de Cocody) et La Pampa, sur la route de Kpalimé, avant le poste de péage de Sanguera, avant Aképé, Noépé, Bagbé et Badja. Cest déjà la grande banlieue. Cest presque la campagne Et la responsabilité du maintien de lordre ny relève plus du corps de police mais bien de la gendarmerie
Ni les « éléments » de la brigade de gendarmerie. Et dailleurs
– Douteraient-ils du pouvoir de Grand Dieu ? Craindraient-ils Satan ? Veilleraient-ils à ménager les deux camps !
le commandant-brigadier et ses éléments ne se dérangeraient probablement pas et préféreraient sans doute senfermer, à double tour, à lintérieur de leur caserne et attendre que le jour se lève et que laffaire séclaircisse delle-même
Et on nimagine pas non plus
– Qui les ameuterait ? Certainement pas les proches voisins, indisposés par les veillées de prières et les séances dexorcisme constamment organisées par le pasteur à son domicile et qui, de toute évidence, se réjouissent des malheurs que lhomme dEglise rencontre dans lexercice de son ministère et qui se poilent et se bidonnent et se tordent de rire et se gardent bien daider le ratichon à se tirer dun aussi mauvais pas
quune nuée de Zémidjans survienne par magie. En pétaradant. Et que des dizaines et des dizaines de « Zed » se lancent à la poursuite de Satan et
– Cest un égorgeur dhommes, un coupeur de têtes, un mangeur denfants, un trafiquant dorganes Ne le laissons pas séchapper ! Attrapons-le ! Réglons-lui son compte ! Tordons-lui le cou ! Cassons-lui la tête ! Coupons-lui la gorge ! Eventrons-le ! Etripons-le ! Saignons-le ! Vidons-le !
parviennent à le rattraper, le tabassent, lenferment
– Mais quadviendrait-il alors du cheval, dans une semblable conjecture ? se demandent et sindignent Brigitte Bardot, Maquignons Sans Frontières et les Leucodermes dAfrique du Sud (lesquels, même après la fin de lapartheid, ont continué à sintéresser à la gestion durable des ressources naturelles et au bien-être des animaux domestiques et sauvages et dont il est établi quils nont jamais cessé dêtre bons avec les crocodiles, les hippopotames, les singes, les oiseaux chanteurs et les canidés et les félidés et les équidés) Serait-il immolé et offert en sacrifice au Seigneur Tout-Puissant ? Labandonnerait-on aux équarisseurs et aux mangeurs dânes et de canassons ? Le remettrait-on à charge de la société globale ? Devrait-on craindre le pire ? Parviendrait-il à séchapper ? Mais où donc, dans quelle ambassade de Grande-Bretagne, dAustralie ou des Etats-Unis ou chez quels missionnaires canadiens ou neo-zélandais, pourrait-il alors trouver refuge ?
dans le coffre dun taxi en maraude, lamènent vers une destination inconnue, le débitent à la machette, le découpent en petits morceaux, le désossent, lemballent dans un grand carton et le balancent dans la lagune de Bè où il se serait probablement noyé si le cheval de Satan (ayant échappé au Seigneur, à léquarisseur, à la société globale, à Brigitte Bardot et aux missionnaires canadiens et ayant suivi, de loin, le taxi-voiture et les taxis-motos des lyncheurs et ayant attendu longtemps, planqué dans les grandes herbes et les roseaux en compagnie des moustiques acerbes, des rats choléreux et des crapauds gluants le moment propice pour intervenir) ne sétait courageusement jeté à leau pour sauver la vie de son maître et le ramener sur la terre ferme.
Ce ne serait pas non plus très crédible
On ne peut, enfin, pas demander
– Javais averti le pasteur quil allait se faire des ennemis ! Je lavais mis en garde ! Je lavais bien prévenu
au chef de quartier de sentremettre (jadis éconduit, outragé et traîné dans la boue par une foule de fidèles
– Et vous voudriez à présent que je minterpose ? Merci beaucoup ! A dautres ! Jai déjà donné !
excitée par un ministre du culte baveux et vociférant, alors que le digne fonctionnaire sefforçait tout simplement, à la demande des administrés de sa juridiction, de calmer les ardeurs bibliques du fou de Grand Dieu )
On ne peut vraiment pas lui demander, à cet excellent chef de quartier, de simmiscer dans laffaire, de se porter au secours des énergumènes et des braillards et dessayer de mettre fin aux « troubles » dont ils se disent à présent victimes
Les ouailles, livrées totalement à elles-mêmes, déguerpissent donc, épouvantées, et se débandent
Comme des lièvres, des agoutis, des rats des champs ou de petites souris noires avec le bout des poils un peu doré fuient un feu de brousse
Ou comme des poules séparpillent en criaillant, effrayées par lintrusion dun serpent dans la basse-cour ou par le survol dun oiseau de proie qui plonge en piqué sur les poussins et les agriffe de ses serres acérées, purulentes et sanguinolentes
Ou comme des « sacabos », des « ashaos » ou des « atos », demoiselles non-accompagnées, puant linsecticide, le déodorant et le parfum bon marché (à ne pas confondre avec les « gos », jeunes filles ou jeunes femmes « plutôt de bonne famille », entre seize et vingt-sept ans, clandestines de la « chose », qui fleurent bon lilang-ilang et aimeraient bien se trouver un « grotto » mais souffrent de la concurrence des séries « c », des collégiennes, des lycéennes et des étudiantes ) sesquivent et évitent, moins bruyamment mais avec autant de célérité, un contrôle de la police aux environs du Privilège ou dune petite boîte de nuit glauque, vaguement éclairée par des néons rosâtres, jaunâtres ou bleuâtres, où des Yovos et des Agoudas (et, plus rarement, des Chinois qui, jusquà présent, ne sont pas très friands dambiances frelatées et sortent à peine de chez eux et nont pas encore été rebaptisés et demeurent toujours des « Chinois ») (ceci dit, les « Libanais », sunnites ou chiites, druzes ou chrétiens, quils soient originaires du Liban, de Syrie ou de Palestine, sont aussi des « Yovos » et cest seulement lorsquils tiennent boutique quon les appelle des « Agoudas ») viennent faire leur marché de noces pour tirer un « coup pressé » ou, cest plus cher, « pour toute la nuit »
Cest la paniiiique !
Les pratiquants, donc, détalent à toute vitesse, se bousculent, renversent des bancs et des tabourets
Ils abandonnent, sur les lieux du culte, leurs bibles et leurs livres de prière, des nattes, quelques pagnes, un gong et un tambourin, des tapettes, un étui à lunettes, une lampe torche, un cellulaire et aussi, dans un coin sombre
– Des espions à la solde des divinités anciennes sétaient-ils glissés parmi les affidés de Grand Dieu (pour les tenir informées des manigances et des sortilèges de la nouvelle idole, dorigine étrangère) ? Des ouailles, fonctionnant à la voile et à la vapeur, sétaient-elles préparées à honorer, après loffice et en cachette du pasteur, lun ou lautre vaudou protecteur et avaient-elles amené avec elles tout leur «petit matériel », dissimulé dans une besace ?
une sacoche de taille moyenne contenant un coq, du djinkoumé, une bouteille de sodabi et même quelques cierges
Les croyants, donc, décampent au galop, à tire daile, comme si on leur avait administré un lavement avec une grosse poire en caoutchouc rouge enfoncée profondément dans lanus et quon leur avait « injecté » de leau savonneuse ou un liquide à base dail, de gingembre et de piment
Ils abandonnent sur place leur « berger » tétanisé, gueule grande ouverte comme un canard migrateur qui, suite à une erreur de pilotage ou de navigation, se retrouverait au beau milieu dun tempête de sable, dans une région désertique du nord du Burkina-Faso aveugle, aphone, coi, figé, stupéfié, annihilé, décomposé, incapable de bouger et de produire un seul son et, surtout, de comprendre ce qui lui arrive
Ils abandonnent aussi un musicien atteint peut-être de poliomyélite, paralysé des deux jambes (pour avoir commis quel gros péché ? dont il cherche à présent à se décrapouiller ? ou quil voudrait bien revendre ou refiler à quelquun dautre pour en être débarrassé ? mais, jusquà présent, personne na jamais voulu lui racheter son péché ni même le recevoir en cadeau ) et assis sur une chaise roulante brinquebalante, à trois roues et qui était le « soliste » et le leader du groupe de batteurs de tamtam « accompagnant » les prières des fidèles jusquau ciel et jusquen enfer et qui avait de bras très « gonflés » et très athlétiques et des mains très larges et très musculeuses à force de se déplacer en se servant de ses seuls biscoteaux dans le « deux pièces », salon-TV Zion (Ibos films !) et chambre à coucher-Sports FM (on peut être handicapé, adorer Grand Dieu et aimer le foot, non ?), qui lui tient lieu de logement et de faire avancer son tricycle en pédalant, pédalant, pédalant avec les paluches et qui jouait puissamment du grand tambour et avait bu, comme il se doit, deux ou trois mesures de sodabi ou, peut-être même, bien davantage et était particulièrement inspiré par lalcool, les noix de kola, le chanvre indien et le Saint-Esprit et ne voyait plus rien et nentendait plus rien et continuait de taper, taper, taper, taper, taper, tapoter, tapoter, tapoter, tapoter, tapoter, taper, taper, taper, taper, taper, tapoter, tapoter, tapoter, tapoter, tapoter, taper, taper, taper, taper, taper, tapoter, taper, tapoter, taper, tapoter, taper, tapoter, taper, tapoter, taper de toutes ses forces, avec beaucoup de conviction, sur son instrument plissant le front, fermant les yeux, se mordant la lèvre inférieure
Satan, fâché « vrai-vrai », descend alors de son cheval fougueux et
le valeureux destrier, lui-même très énervé, bronche, montre les dents, rue, se dresse de façon spectaculaire (bien membré, circoncis, ne portant pas détui pénien, presque en érection) et menaçante sur ses pattes arrière et
Adjibossou fonce aussitôt sur le pasteur et lagrippe et lempoigne et
– Cest toi, bandecon, qui mas appelé? Cest toi qui veux me fouler aux pieds ? Cest toi qui veux menfoncer un cactus dans le cul ? Et me piler de lail, du gingembre et du piment dans lanus ?
le bouscule vigoureusement et le malmène et le travaille et le tourmente et le tortille et le gigote et le balance et
– Et cest toi qui interdis à tes fidèles de manger du cochon de lait rôti au four et des bloms et même de lagouti ? Et cest toi qui ne leur permets pas de travailler le vendredi ? Et cest encore toi qui nautorises pas laccès de ta concession aux femmes ayant leurs règles ?
lui broie le palmier et lui moud le cocotier et lui râpe ligname et lui piétine lavocat et lui écrase la mangue et lui concasse la papaye et
finit par le jeter à terre, presque nu, en caleçon, dun geste méprisant et
– Tu nes même pas capable de te battre et de te défendre, espèce de bandecon ! Tu as des ovules dans les testicules ! Tu nas même pas de fesses ! Tu as le cul dun « Blanc fauché » qui na plus de sous dans les poches de son short ou de son pantalon et rien non plus dans la culotte ! Tu es de la chiure de mouche ! Tu nes quune petite grenouille insignifiante ! Je vais te balancer dans la fosse et te donner à manger aux canards, aux hippopotames et aux crocodiles !
fait mine de se boucher le nez comme on jette le contenu dun panier dordures ménagères sur un tas de détritus.
Le pasteur sétrécit, saffaisse, samenuise, satrophie et sefforce de rapetisser encore et tente de séclipser subrepticement (sans demander son reste, sans prendre ses cliques et ses claques, sans tirer sa révérence) en rampant et trébuche et se redresse et chavire et retombe et se relève et sécroule à nouveau et frissonne et tremblote et trouillote et pisse sur lui et chie sur lui et parvient finalement à prendre la fuite, en courant, à quatre pattes, couinant et pleurnichant, allant de gauche à droite, dans tous les sens, gémissant et glapissant, comme un chiot souffleté par un gros matou et qui cherche et qui cherche et qui cherche mais ne trouve pas, un trou de lapin sauvage où
– Azui !
senterrer…
Et Satan, victorieux et sarcastique, de se mettre à rire, rire, rire, rire, rigoler, sesclaffer, sébaudir, se poiler, se bidonner, se gondoler, glousser, pouffer, se tordre, sétranger et hoqueter dun rire inextinguible, inextinguible, inextinguible, inextinguible, inextinguible, inextinguible, inextinguible
Et son cheval aussi de remuer la tête de bas en haut, de hennir, de piaffer, de ricasser et de se taper les mains sur les cuisses et de piétiner le sol de contentement et
– Ce nest pas parce quon est circoncis quon peut se retenir duriner !
de pisser de rire
Leurs rires énormes et dévastateurs, peu à peu, se calment.
Un silence de cimetière règne alors sur la concession du pasteur, complètement désertée. Et ne restent plus sur place que
– Pardon, Satan ! Moi, je ne vous ai jamais piétiné ! Regardez-moi, je nen serais pas capable, vous avez vu dans quel état sont mes jambes
le tambourinaire paralytique (qui ne peut pas séchapper), le cheval (qui le tient quand même à lil et pointe tout droit ses grandes oreilles) et Satan qui
– Menteur ! Imposteur ! Faux jeton ! Satan est au courant de tout ! Satan a des informateurs partout ! Je sais que tu viens ici pour adresser une requête à mon collègue et concurrent, Grand Dieu ! Le pasteur ta dit que si tu jouais divinement bien (et gratuitement aussi, eh !) du tambour, tes prières allaient être vite exaucées ! Et je sais que, tous les soirs, tu supplies Grand Dieu de te faire recouvrer lusage de tes jambes
– Pardon, Satan ! Pardon ! On mavait dit que Grand Dieu accomplissait des miracles, quil savait redresser les perclus et faire marcher les paralytiques On mavait trompé !
– Et pourquoi ça, hein ? Pourquoi veux-tu retrouver tes jambes ? Pour pouvoir danser le high-life, le soukouss, le rap ou le reggae ghanéen dans une boîte de Lomé ou un boui-boui dAflao, près du poste frontière ? Ne serait-ce pas plutôt pour me piétiner et mécraser et me concasser ? A ton tour ? Et me broyer, me moudre et me râper aussi ? Et menfoncer un cactus dans le cul et me piler de lail, du gingembre et du piment dans lanus ? Et me fouler aux pieds ? Comme tous les autres ? Je le sais !
– Pardon ! Pardon ! Pardon !
harponne le joueur de grand tam-tam (je vais lui faire la fête à ce tapageur nocturne qui est certainement le plus bruyant de toute la bande, se dit Satan) et menace de lui marquer les,joues avec son trident chauffé à blanc et le querelle et le harcelle
– Et dailleurs tu fais tellement de bruit avec ton instrument, djimakpla, jusque tard dans la nuit, que mes enfants ne parviennent plus à terminer leurs devoirs et à dormir en paix ! Et quils arrivent fatigués à lécole et en ramènent de mauvais bulletins quils nosent pas montrer à leurs parents !
– Pardon ! Pardon ! Pardon !
– Et que ma co-épouse et moi-même, nous ne pouvons même plus regarder tranquillement un film sur Radio Télévision Delta Santé ou une émission de variétés à la TVT, sur TV2 ou sur Ghana TV ou suivre, en famille, lélection de Miss CEDEAO, édition 2006 !
– Pardon ! Pardon ! Pardon !
– Je devrais te faire mordre par mon cheval ! Je devrais te jeter un sort, djimakpla, et te pétrifier aussi les bras pour que tu ne puisses plus jamais battre du tambour !
– Pardon ! Pardon ! Pardon !
en fulminant (et quil ne simagine pas, ce connard, que son handicap constitue une circonstance atténuante car sil avait toutes ses jambes, je sais bien quil serait déjà loin, se dit Satan) mais
– Pardonnez-moi, Grand Satan ! Ce sont mes frères, mes soeurs et le pasteur qui mont trompé ! Je nai jamais voulu vous nuire, à vous et à votre famille Et pour les Miss si tu veux, Grand FoFo, je peux te raconter comment ça sest passé car, ce jour-là, je ne suis pas venu prier, je suis resté toute la soirée à la maison, devant mon poste, avec ma femme
– Avec qui donc, dis-tu, azui ? Avec ta femme ?
– Oui, Grand Satan ! Je nai plus de jambes, Grand Satan, mais jai quand même du cur et des sentiments !
– Et donc du gagaragassou, jimagine! Mais, dis-moi, azui, es-tu seulement circoncis comme doivent lêtre tous les bons bougres de ton âge qui se respectent ?
– Bien sûr, Grand Satan ! Comme un vrai homme ! Comme ton cheval ! Comme Jésus-Christ !
– Comme qui ?
– Pardon, Grand Satan, ça ma échappé Jai été circoncis peu de temps après ma naissance, quand javais encore toutes mes jambes !
– Et ton gagaragassou, dis-moi encore, Azui, ça mintéresse, il fonctionne normalement ton truc-là ?
– Tout à fait normalement, Grand Satan ! Enfin, presque Ces choses-là qui pendouillent-là ne sont, fort heureusement, pas accrochées aux jambes Et jurine bien aussi, merci, grâce à Grand Dieu ! Enfin, presque
– Grâce à qui ?
– Pardon, Grand Satan, ça ma encore échappé ! Pardon ! Pardon ! Pardon ! Laissez-moi madapter au changement de culte et maccoutumer aux rites, pompes et solennités du nouveau credo ! Il faut me donner un peu de temps ! Il y a tellement de slogans publicitaires, de cris danimation, de paroles magiques, de clauses de style et de formules cabalistiques, de phrases louangeuses, de compliments bien troussés et de dates historiques à apprendre et tellement dautres à oublier !
à force de discuter avec lui (laissons-le quand même sexprimer, testons-le et voyons ce quil a dans le bide, se dit Satan) progressivement sapaise et
– Mais que je ne ty reprenne plus quand même, mal élevé !
– Pardon, Grand Satan ! Pardon ! Demain, jaurai pris connaissance de Votre Parole Satanique Maudite et jaurai lu Vos Maudits Ecrits Sataniques et retenu les questions et les réponses de Votre Satanique Petit Catéchisme ou de Votre Petit Livre Rouge Satanique et je me serai complètement recyclé Jaurai tout étudié par cur et vous naurez pas de meilleur perroquet que moi !
– Bon, dis-moi quand même, lapin, ça mintéresse, comment vous vous arrangez, ta femme et toi, pour vous accoler, faire la « chose » et vous envoyer en enfer ! Qui prend linitiative ? Qui conduit la manuvre !
– Ne vous moquez pas, Grand Satan ! Pitié ! Ne vous moquez pas Mais, puisque ça tintéresse, Grand FoFo en ce qui concerne lélection de Miss CEDEAO, je peux te dire aussi que lévènement était organisé
– A lhôtel du 2 février, comme dhabitude ?
– Non, au Palais des Congrès ! Et que le groupe musical qui animait la soirée était
– Celui de Jimi Hope ?
– Non, celui de King Mensah ! Et que cest livoirienne Alima Diomandé qui a été élue !
– Et la candidate du Togo ?
– La togolaise Jacky Azouma a été retenue comme première dauphine
– Jacky Azouma ? Mais cest une vieille Miss Togo, ça ! Ce nest pas celle de lannée dernière ou dil y a deux ans, non ?
– Effectivement, Grand FoFo !
– Mais pourquoi alors Miss Togo 2006 na-t-elle pas été retenue comme candidate à lélection de Miss CEDEAO ? Avait-elle des boutons partout et les organisateurs ont-ils été obligés de la remplacer ? Ou, peut-être, depuis son élection, sétait-elle trouvé un grotto et était-elle tombée gravement enceinte (une grossesse accélérée, la bougresse !) des uvres du fils aîné ou du chauffeur particulier de son généreux bienfaiteur ?
– Je ne crois pas, Grand FoFo ! Cest faux ! Tout ça, ce sont de vilaines calomnies et de très méchants racontars ! Mais je sais quau moment de son élection Miss Togo 2006 avait été contestée par une bonne partie du public ! Elle était nulle à loral, paraît-il A la plupart des questions que lui posaient les membres de jury, tout ce quelle était capable de répondre, cétait: « Aucune idée » !
– Excellent ! Captivant ! Tu commences à me plaire, lapin !
– Une autre version circule encore, Grand FoFo, selon laquelle il y aurait un « décalage » entre les élections nationales et internationales de Miss Et que, dès lors, Miss Togo 2006 ne pouvait pas être candidate à lélection de Miss CEDEAO en 2006 mais quelle devrait lêtre, normalement, en 2007 !
sintéresse peu à peu au bonhomme (un petit malin, un futé qui a de bonnes informations et même, apparemment, du bon sens et du jugement, se dit Satan) mais
– Paaarfait ! Parfait ! Je vois Bon, ça suffit comme ça, assez causé, assez pinaillé Je nai pas que ça à faire Mais je dois bien constater, azui, que tu disposes de très bons yeux et aussi dexcellentes oreilles et que tu es bien renseigné et que tu jactes aussi pas mal Et je me propose donc de te recruter dans mon centre de documentation générale, comme chercheur associé
– Merci Grand Satan !
– Cest gratuit ! Peut-être aussi, plus tard, pourrais-je tutiliser comme animateur et propagandiste
– Merci Grand Satan ! Merci !
– Pas de quoi ! Mais, en attendant, comme tu es un excellent joueur de tam-tam (on ne peut pas dire que je ne tai pas suffisamment « auditionné » !), je ferai en sorte que tu puisses te produire en « ville », avec ton groupe de musiciens, chez les Yovos du Centre culturel français ou au Privilège
– Merci Grand Satan ! Merci ! Merci !
– Pas de quoi ! Et je te fournirai aussi tout léquipement nécessaire, je moccuperai du transport et des « arrangements » à passer avec la direction de ces établissements et de lherbe et des noix de kola et du sodabi ! Je tachèterai une nouvelle chaise roulante, une « quatre roues motrices », dernier modèle, avec avertisseur sonore, moteur électrique et GPS ! Je serai ton sponsor inconnu !
– Merci Grand Satan
– Cest gratuit ! Je crois quon pourra très bien sentendre, lapin !
– Mais mautoriseras-tu à jouer également avec mes potes dans les grands hôtels de Lomé ?
– A lhôtel Sarakawa, oui !
– Et à lhôtel de la Paix et à celui lhôtel du 2 février ?
– Oui, aussi !
– Et à lhôtel du Bénin ?
– Non ! Cet hôtel a été racheté par la chaîne Ibis et est, à présent, squatté par les militaires français de la « Force Licorne » qui fabriquent on ne sait trop quoi en Côte dIvoire et qui prétendent venir se « décompresser » à Lomé !
– Et à lhôtel Palm Beach ?
– Non ! On ny donne pas de concerts et puis cest juste à côté du Privilège et ça pourrait provoquer un peu de tirage entre les deux établissements !
– Et au Palais des Congrès, oui ?
– Bien sûr !
– Et dans les bars du boulevard circulaire, le boulevard du 13 janvier, oui ?
– Cela va de soi !
– Au 54, par exemple ?
– Certainement !
– Et au Sunset, en face des Brochettes de la Capitale ?
– Evidemment !
– Ewuiii ! Jen ai de la chance ! Merci, Grand Satan ! Merci, Patron ! Merciii !
– Cest gratuit, lapin !
– Jaccepte ta proposition avec enthousiasme, Grand Satan et je vais tout de suite annoncer la nouvelle à ma femme et à mes musiciens !
– Attends encore un peu, lapin Attends Il faut dabord quon en discute à tête reposée Et quon se mette daccord sur les termes exacts de notre contrat !
– Bien sûr, Grand Satan !
– Et jespère bien, azui, que ton repentir et ton engagement sont sincères ! Je le souhaite vivement pour toi dans ton propre intérêt et dans celui de ta famille On peut, certes, facilement tromper Grand Dieu qui a la tête dans les nuages mais on ne peut écraser les pieds de Satan avec les cerceaux couverts de rouille dune chaise dhandicapé couinante et déglinguée ! Tu travailleras donc pour moi, sous mon autorité exclusive
– A ton commandement, Grand Satan !
– Je tintime donc, dès à présent, lordre formel et diabolique de ne plus jamais, jamais, jamais jouer du tam-tam à Adidogomé après le coucher du soleil ! Tu mentends ? Plus jamais !
– Plus jamais, Grand Satan ! Cest promis ! Je tai bien entendu ! Et je tobéirai au doigt et à lil et sans murmurer, Patron ! Je serai ton fidèle serviteur ! Jen fais le serment !
– Je prends donc acte de votre prestation de serment, lapin !
– Mais, quand même à Lomé, en pleine ville je pourrai faire du bruit, non ?
– A Lomé, en « ville », pas de problème ! Tu pourras faire autant de chambard que tu voudras !
– Magnifique ! Et quand jirai jouer du grand tam-tam au Sunset, je ferai tellement de boucan que les clients des « Brochettes » devront se boucher les oreilles ou prendre la fuite ! Et se réfugier au Quilombo !
– Comme tu voudras, azui ! Pas de problème ! Personnellement, je raffole des brochettes de tripes de mouton Mais je nhabite pas Abobokomé, le quartier des escargots Et le tapage qui y règne, je men fous ! Je me suis domicilié, en effet, depuis quelques années, ici-même, à Adidogomé, en dessous du baobab, près du cimetière
– Mais pourquoi donc à Adidogomé, Grand Satan, pourquoi pas au centre ville ?
– Parce que le coin était réputé plus tranquille ! Beaucoup moins bruyant Cétait bien avant que le pasteur et sa bande de paroissiens ne se mettent à gueuler, à piailler et à bêler tous les jours Tu comprendras donc, lapin, pourquoi jétais très en colère en débarquant ici ce soir !
– Bien sûr, Grand Satan ! Je te comprends ! Mais pourquoi, compte tenu de ton « niveau », ninstallerais-tu pas tes appartements dans les caves somptueuses dune très grande villa de la Résidence du Bénin, près de Lomé II ? Jen connais quelques unes qui te conviendraient parfaitement !
– Ah bon ? Et comment tu vois ça, lapin ?
– Si tu tinstallais à la Résidence du Bénin, Grand Satan, je pourrais peut-être simple suggestion de ma part, soumise à ton appréciation avec ma femme et, peut-être aussi si tu lautorises les musiciens de mon groupe occuper les nombreuses chambres à coucher, les deux salles de bains, la cuisine, la salle à manger, la terrasse, le petit salon et le grand salon
– Ah bon ! Vas-y, continue, développe tes idées !
– Et, ma femme et moi, nous pourrions peut-être constituer un couple de loyaux serviteurs, obéissants, efficaces, désintéressés, entièrement voués à ton service Moi je filtrerais les visiteurs et ma femme ferait la lessive, laverait les carrelages et cirerait les souliers Elle balayerait aussi les escaliers qui mènent au sous-sol Tu lui donnerais un peu dargent et elle ferait toutes les courses de la maison A la superette Ramco, installée au sein même dans la Résidence depuis plus dun an ou à superette Concorde, à Bè-Klikamé, sur lavenue des Tecks (plus petite mais moins chère, dit-on, que les magasins de la chaîne Ramco et on y trouve aussi, en abondance, des produits « expatriés », venus de France ou dailleurs : du fromage et des vins français, du schnaps en provenance de Hollande ou dAllemagne, etc) ou même, tous les jeudis, au marché de Noépé doù elle ramènerait, des ufs, des poules, des ignames, du maïs, des escargots et des légumes frais pour ta femme et tes enfants ou au marché de Kévé, le mercredi ou au marché de Sanguera, le vendredi ou au marché dAssanhoun, le samedi ou au marché de Kévé, le mercredi
– Ah bon ! Et le mardi ?
– Le mardi, il y a bien un marché qui se tient à Badja mais cest un très petit marché ! Tu pourrais aussi, peut-être si ça tarrange et si tu veux bien prendre en charge le coût du transport simple suggestion aussi sans vouloir te commander envoyer ma femme au marché de Tsévié, sur la route dAtakpamé, qui se tient aussi le vendredi doù elle te rapporterait de grandes jarres, fabriquées dans les villages des environs, que tu pourrais enterrer à mi-hauteur dans ton jardin pour y conserver de leau
– Ah bon ! Il ny a donc pas deau courante dans les villas de la Résidence du Bénin, lapin ?
– Si, bien sûr, Grand Satan, bien sûr ! Mais tu pourrais également utiliser ces jarres à des fins décoratives, y planter des fleurs « exotiques » comme font les Yovos
– Ah bon ! Et les musiciens de ton groupe, quest-ce quon en ferait dans le « plan » que tu me proposes ?
– Les batteurs de tam-tam, le sonneur de gong et le maracassiste pourraient peut-être par exemple autre petite idée dont tu feras évidemment ce que tu voudras balayer ta cour, tailler tes haies, arroser les fleurs que tu auras fait planter dans les grandes jarres achetées au marché de Tsévié, tondre ton gazon, élever quelques poules et des canards, nourrir tes chiens, soccuper de ton potager
éprouve néanmoins quelques doutes (il me prend pour un con, ce margoulin il simagine quil va pouvoir pomper mes sous et se servir de moi comme ça, se dit Satan) sur la sincérité de son nouvel employé mais
– Ne chercherais-tu pas à mentuber, lapin ?
– Mais non, Grand Satan ! Loin de moi cette pensée ! Je ne pense quà défendre vos intérêts, Patron !
– Est-ce bien sûr, lapin ?
– Vous pouvez absolument me faire confiance, Patron ! Et je me demandais aussi inspiration subite qui me vient à linstant pourquoi vous noccuperiez pas non plus les parkings et les souterrains secrets et sécurisés de la nouvelle ambassade des Etats-Unis dAmérique, le long du boulevard qui passe devant Lomé II, au début de la nationale 1 ? Après tout, Grand Satan, vous êtes quand même une autorité et vous devez vous faire respecter ! Vous êtes un Grand parmi les Grands !
– LAmbassade des Etats-Unis, il ne peut en être question, lapin ! Trop de caméras, trop de micros et trop de militaires ! Et puis trop de complications diplomatiques aussi ! Quant à la Résidence du Bénin, je naime pas beaucoup les gens qui habitent ce quartier-là ! Enormément dexpatriés et plein de vigiles en tenue noire ou vert-kaki, armés de gourdins ! On se croit protégé et on se retrouve prisonnier Et, surtout, je ne tiens pas à devenir tributaire dun petit malin dans ton genre qui profiterait dun job de concierge pour vivre à mes crochets et surveiller tous mes mouvements !
– Bien sûr, Grand Satan ! Bien sûr ! Je vous comprends parfaitement ! Bien sûr ! Et pardon si vous ai choqué ou offensé ! Pardon ! Cest sous le coup de lémotion ! Il faut mexcuser ! Pardon !
– Bon, arrêtons là et parlons du contrat qui va nous lier ! Ce que je te demanderai, à partir de maintenant, en contrepartie de mon offre généreuse, cest de rôder jusquau petit matin dans les hôtels et dans les bars et, après ou avant les concerts, de te glisser adroitement avec lair de ne pas y toucher entre les tables avec ta chaise roulante (les gens finiront par te connaître et te laisseront passer gentiment) et de te faufiler, tinsinuer, tincruster dans des groupes (les gens tappelleront et te féliciteront et te gratifieront et, peut-être, tinviteront-ils à te joindre à eux et toffriront-ils à boire personne ne pensera à se méfier de toi) de fêtards et de tendre les oreilles comme mon cheval et douvrir grand les yeux et de relever les noms des individus qui te paraîtront suspects de quelque chose ou le numéro de la plaque dimmatriculation de leur voiture ou de leur moto, etc
– Et détablir à votre attention, un « bulletin dinformation » quotidien, Patron ? Est-ce bien ça ?
– Oui, évidemment ! Cest bien ça ! Tu me rapporteras, soigneusement, dès laube, avant même daller te coucher, tout ce que tu auras vu ou entendu pendant la nuit, lorsque les bambocheurs se lâchent : ce que les gens complotent, trament et manigancent où ils se rencontrent qui fricote ou couchaille avec qui quelles sont les combines louches de chacun que je puisse constituer un dossier sur chacun
décide de le garder quand même en amitié (ce gredin a tout pour faire un excellent démon et les « défauts » dont il devrait normalement se confesser à léglise ne sont, après tout, que des qualités ou des aptitudes dont on pourra très utilement se servir en enfer, se dit Satan) et finit par lui donner, solennellement, labsolution et
– OK ! Je crois, lapin, quon nous nous sommes bien compris ?
– Oui, Patron, on sest très bien compris ! A merveille ! Et dailleurs je faisais déjà presque le même boulot pour le pasteur !
– Ah bon ? Tu me raconteras ça plus tard
– Avec plaisir, Grand Satan !
– On se reverra donc demain, on mettra tout ça définitivement au point et on signera le contrat ! Je décide de passer léponge ! Je te pardonne toutes tes fautes (le chambard que tu fais tous les soirs depuis des mois, mes insomnies, les mauvais bulletins de mes enfants et même tes petites « suggestions » teintées de roublardise) et je me résous à tembaucher ! Va dans la paix de Satan, lapin ! Et à demain !
– A demain où, Patron ?
– Sous le baobab, près du cimetière !
– Sans faute, Patron ! Sans faute ! Et merci encore ! Merci mille fois !
– Cest gratuit ! Va donc en paix, lapin !
– Oui, Patron !
– Va, je te dis !
– Oui, Patron !
– Mais va !
– Oui, bien sûr, Grand Satan je voudrais bien demander la route, mais mais comment je fais ? Sans laide de quelquun, je ne suis pas capable de traverser les rigoles et de franchir les bordures
– Tu ne voudrais quand même pas que ce soit moi, Satan, qui pousse ton tricycle jusquà la maison ?
– Non Patron, bien sûr ! Il nen est pas question !
– Ni que jordonne à mon cheval, un pur sang de noble extraction, de tracter ta charrette ridicule comme on pourrait lexiger dun vulgaire bourricot ?
– Non, bien sûr, Satangan jappellerais bien ma femme sur son cellulaire mais je nai plus dunités je suis désolé je ne vois pas comment faire tu ne pourrais pas me prêter ton appareil ?
par lui passer (il ne faudrait quand même pas que le bonhomme exagère et quil se croie tout permis, se dit Satan) son portable.
– Appelle, lapin ! Mais fais vite !
– Merci Satangaaan ! Je te remercie infiniment
– Oui mais fais vite, je te dis ! Le téléphone, lui, nest pas gratuit !
– Mais, à propos, Satangan le Tout Puissant si je peux me permettre sans te forcer la main si ça ne te dérange pas trop maintenant que nous avons fait connaissance, Satangan le Maudit et que jai enfin découvert ta force et que je me suis enfin soumis à ton autorité, Satangan le Très-Bas et le Très-Malfaisant et afin que, la prochaine fois, je puisse enfin me mettre à genoux devant ton Opulente Magnificence et que je puisse enfin reprendre linitiative et enfin conduire la manuvre et enfin donner de vigoureux coups de rein et enfin satisfaire la mère de la maison et enfin gambader, enfin sauter, enfin bondir, enfin détaler, enfin me reproduire, enfin proliférer et engager quelques co-épouses, les escalader à toutes heures du jour et de la nuit, couicouiner de plaisir comme un vrai lapin buissonnier tu ne pourrais pas faire quelque chose pour mes jambes, Bon Satangan tu ne pourrais pas me confectionner un gri-gri « bienfaisant » (ça doit exister, non ?) qui me remette enfin les guibolles en place et faire en sorte, Grand FoFo, que ces choses-là qui pendouillent entre mes jambes ballantes puissent enfin tourner au mieux de leurs capacités ?
Et voilà, lhistoire est finie.
Ite missa est. On éteint les lampions. Tout le monde rentre à la maison. On ferme la guinguette.
Moralité ? Aucune !
Grand Satan et le paralytique – Le film du film
Evidemment, on laura tout de suite deviné, Satan était intervenu à la demande expresse
– Et moyennant finances, douchka ?
– Tu as tout compris, petite chérie ! Le charbon de bois quon achète sur la route de Kpalimé ou dAtakpamé, ça coûte cher ! On ne se chauffe pas au mazout en enfer, ce nest pas bon pour les bronches et puis ça pue trop ! Et, dans les caves à champignons, à fromages, à schnaps ou à crus rares et tout au fond des mines de phosphate, de fer, de bauxite, de chrome ou de manganèse, il faut bien avoir un peu de lumière sinon on perd son chemin et, dans lobscurité, on ne retrouve plus la porte des toilettes ou de la cuisine et on peut même se tromper de chambre à coucher et
– Et finir la nuit dans le lit de la bonne des enfants ?
– Ben wiii ! Il ny a pas de fenêtres ou de velux en enfer ! Les « rives de Charon » ne sont pas éclairées par la « pyramide du Louvre » ! Et, en cette période de délestage, lélectricité et le gaz en bonbonnes (servant à faire fonctionner les frigos pleins à ras bord de bouteilles de Pils, de Flag, dEku, de Castel, de Lager et de Guiness
– Et dAwoyoo, jespère ?
– Et dAwoyoo, bien sûr de même que les grands congélateurs, on appelle ça des fours, qui servent à fabriquer des « glaçons » ou des blocs ou des « pains » de glace, de quarante centimètres de long sur dix de large et dix de haut, bien cuits) se font rares et risquent de bientôt augmenter de prix !
– Mais dis-moi, douchka, au Togo, les mines de phosphate sont exploitées à ciel ouvert, non ?
– Effectivement !
– Et jai lu aussi quelque part, douchka, que les gisements de fer des environs de Bassar ne sont pas mis en valeur actuellement sauf par quelques Bassari de Nangbani ou de Bandjeli qui forgeronnent encore des couteaux, des houes, des fers de lance et des cloches pour les cultivateurs, chasseurs ou éleveurs du coin
– Et aussi pour les touristes, petite chérie pour des Yovos, trafiquants dimages volées et fricoteurs dobjets usuels quils « extorquent» aux gens, en marchandant ferme, sans sembarrasser de scrupules, contre quelques petites pièces de monnaie
– Jai donc lu, douchka, te disais-je (et je veille à ne pas perdre le fil de mes idées sinon tu vas encore arriver à tesquiver) que ces gisements sont laissés à labandon parce quils sont estimés « peu rentables » et ne pourraient pas être exploités à grande échelle Mais, de toute manière, que je sache, lexploitation traditionnelle des gisements de Bassar se fait également à ciel ouvert, non ?
– Ben wiii !
– Et cest quoi alors ces « caves à champignons » et ces « fonds des mines » dont tu me parles ?
– Tu cherches, décidément, à me casser la baraque, petite chérie ! Tu es trop rationnelle, trop documentée ou trop « économique », je ne sais pas trop quel mot utiliser ! Et tu commences très sérieusement à minquièter! Dois-je comprendre que ma femme serait contre moi et aussi contre Grand Satan ? Noublie pas que, toi et moi, nous faisons partie dune seule et même association de malfaiteurs un peu de complicité simpose !
à la demande expresse, disais-je (avant que tu ne minterrompes) dhabitants dAdidogomé qui se plaignaient dun tapage nocturne quasi-quotidien et avaient, à plusieurs reprises, demandé au chef de quartier dintervenir et dépêché des délégations auprès du pasteur afin de lui faire entendre raison et sétaient faits traiter
– Infidèles ! Personnes sans foi ni loi ! Esprits Sataniques !
de tous les noms et qui, réunis en assemblée générale ou en « comité de base» sétaient résignés, en fin de compte, après avoir dû se cotiser, à recourir aux services onéreux mais efficaces de
Satan.
lequel, fort heureusement, logeait une de ses co-épouses
– Une jeune pousse qui, pour linstant, avait sa préférence et quil fréquentait (au grand dépit de la mère-chef) plus assidûment que toutes les autres depuis quelques années déjà Un tendron qui lui avait fait déjà cadeau de deux petits enfants en âge, maintenant, daller à lécole
à Adidogomé.
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »
– Une deuxième maison, douchka ?
– Malgré de nombreux et importants « échanges » culturels avec le Congo-Zaïre, petite chérie, il ny a pas à proprement parler de « deuxièmes bureaux » au Togo ce nest pas vraiment admis on prend plutôt une co-épouse et on lui fait un enfant mais dès lors que, de nos jours, la co-épouse n accepte plus, comme avant, dhabiter la même maison que la première, on est bien obligé de linstaller quelque part et on se retrouve avec « deux maisons »
entièrement climatisée, équipée de tout le confort moderne, avec connexion internet et jacuzzi, disposant dun salon cigare et pousse-café (équipé dun dispositif dextraction des fumées) et dune distillerie de sodabi pour monsieur, dune salle de fitness (avec entraîneuse-musculatrice et coach en nutrition et en hygiène buccale) et dun salon de beauté (avec défriseuse, tresseuse, maquilleuse, épilatrice) pour madame, dune salle de jeux pour les petits (avec flippers et consoles) et dune écurie pour le cheval du patron et dun ascenseur et même dun monte-charge pour les sacs de charbon de bois et davoine (les sacs davoine étant directement expatriés de France ou dAllemagne), les bottes de paille, les casiers de bière et le bourrin débouchant lun et lautre, en surface, dans une crypte abandonnée, cachée par la végétation
Une deuxième « maison », ensuite, que le vert-galant sétait fait construire, en utilisant une ancienne excavatrice de houille ou de lignite des charbonnages du Borinage (découverte dans un parc du Port Autonome de Lomé, le TP3 sans doute, où elle semblait avoir été abandonnée par son importateur faute dacheteur), dans le quartier dAdidogomé, à plus de vingt mètres en dessous dun gigantesque baobab, presque chauve, et du vieux cimetière où des jeunes désoeuvrés, quelquefois, jouent à ladito, ou aux dames ou au cartes, glandent, dragouillent, discutaillent, traficotent, fument de lherbe, grignotent des noix de kola, revendent de lessence du Ghana (quand le « cours » est favorable aux fraudeurs), boivent du deha, du tchoukoutou et du sodabi ou font la sieste sur les tombes, à lombre des palétuviers tandis quun peu plus loin, des proches dune personne morte la veille et que la famille navait pas eu les moyens de « mettre au congélateur » à la morgue de Lomé en attendant larrivée dautres parents et amis du défunt devant venir de Vogan, de Glidji, dAneho, de Kpalimé ou dAtakpamé ou de plus loin encore, de Blitta, de Sokodé, de Bassar, de Kara, de Kanté, de Mango ou de Dapaong ou de plus loin encore, du Bénin, du Nigeria, du Ghana, de Côte dIvoire, du Burkina-Faso, du Mali ou du Niger ou de plus loin encore, de France, dAllemagne, du royaume de Tintin ou des Etats-Unis (le « loto-visa » ayant eu pour effet, dit-on, daugmenter considérablement, ces dernières années, le nombre des membres de la communauté togolaise résidant en Amérique) creusent une nouvelle tombe pour un enterrement prévu dans la journée, en fin de matinée
Une deuxième « maison », enfin, que Satan avait fait construire à grands frais et dans le plus secret le plus absolu pour éviter que la première épouse, tolérante mais ne supportant pas quon lui manque de respect
– Tu passes toutes tes soirées avec tes copains au Quilombo, au 54, au Sunset ou aux Brochettes de la Capitale et tu termines tes nuits dans les boîtes et les hôtels de la ville ! On ta même vu au gîte rural de Nassogne, à Badja, quest-ce que tu allais faire là-bas ? Tu nes presque plus jamais à la maison ! Tu goûtes à peine les sauces que je te prépare ! Tu me refuses ton corps et tu ne salis plus mes draps ! Ça ne peut plus « continuer à rester durer comme ça longtemps quand même » !
ne se prévale de son statut de mère de la maison et nintroduise un important cahier de revendications.
Et cest ainsi, à quelques (lourdes) nuances près, que les aventures de Satan et du paralytique ont été rapportées dans un journal
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »
Cette co-épouse, Satan la logeait dans une deuxième « maison »