
De main à main, lancien Secrétaire Général de la défunte O.U.A. mavait remis son dernier opus en déclarant : « je sais que mon jeune frère sintéresse aux choses de lEglise, malgré quil en est. » Tout Kodjo est là, avais-je relevé, dans lusage de cette exception grammaticale peu usitée mais correcte, un peu précieux mais cultivé. On ne se refait pas. Je savais lancien Premier Ministre du Togo un peu « grenouille de bénitier », membre du Club de Rome et au demeurant enseignant de Patrologie à lInstitut Saint-Paul de Lomé (si, si !), mais de là à se transformer en Révérend Père laïc expliquant à ses ouailles privées lélaboration de la doctrine chrétienne, de la fin du Ier siècle au Vème siècle ! De retour chez moi, jai feuilleté le livre, à la recherche dune introduction ou dun avant-propos quelconque qui eût pu méclairer sur le choix dun tel sujet. Rien, nenni, que dalle. Kodjo parle et nexplique pas sa passion.
Le christianisme est un héritage colonial, je le dis sans jugement de valeur, de la même manière que je peux constater la colonisation de mon organisme par des bactéries que je ne contrôle pas mais avec les lesquelles je peux composer. Et les Pères de lEglise sont des intellectuels colonisés par une Foi qui souvent les dépasse, qui ont fait naître la Théologie à partir de leurs lectures de la Bible, le référent suprême de la religion. Edem Kodjo nous propose une introduction à la pensée de ces Evêques et autres philosophes qui ont façonné la religion et aidé lEglise à produire, le long des siècles, son corps de doctrines et de dogmes. Dans la galerie des portraits que propose lauteur, je me suis plutôt intéressé aux Pères Africains du IIIème siècle, lesquels ont joué un rôle non négligeable dans lémergence de la patristique latine. Saint-Augustin émerge du lot, et Kodjo, à raison, lui consacre un chapitre entier à la fin du livre. Mais on citera aussi Tertullien, celui que Bossuet surnommait le « dur africain », un juriste pétri de talents et de défauts, fou furieux et rigoriste, qui alla jusquà postuler lexistence de péchés irrémissibles, au nombre desquels ladultère, lidolâtrie et lhomicide et interdisait aux Chrétiens la pratique de certaines professions comme la sculpture, lastrologie, la vie militaire
, alors que lui-même est né dun père centurion de larmée romaine stationnée en Afrique ! Tout le contraire dun Saint-Cyprien, surnommé « le Pape de lAfrique, modéré, clairvoyant, ferme. On lui doit la thèse de la primauté du pape et lautonomie des évêques. Kodjo laime, de toute évidence, ce martyr doux comme le vin de messe, lisez plutôt : « Condamné à avoir la tête tranchée, il répondit Deo Gratias, se rendit au lieu du supplice avec une grande dignité, fit verser 25 pièces dor au bourreau qui tremblait, noua lui-même le bandeau autour de ses yeux, présenta la tête
et reçut le coup mortel. » Un poil théâtral, tout comme la conclusion dEdem Kodjo, que jimagine sans peine en train de tressaillir de la joie du chrétien fervent devant ses étudiants de lInstitut Saint-Paul de Lomé : « Cyprien ? Un grand Evêque, un grand africain, un grand saint ! » (P. 88). Plusieurs autres Pères Africains ont marqué ce siècle, Kodjo les passe en revue : Arnobe lAncien, Lactance (admiré par Pic de la Mirandole, estimé par Erasme).
Javoue que si lon est chrétien et curieux de savoir quel rôle lAfrique a pu jouer dans lélaboration de la doctrine chrétienne, lintroduction de Kodjo aux Pères de lEglise ne peut laisser de marbre. Surtout que la narration est très enlevée, moins truffée de ces mots rares et savants non expliqués auxquels lauteur nous avait habitués dans son roman Au commencement était le glaive
un Kodjo très lisible, aussi passionnant quil létait dans Et demain lAfrique, son essai de science politique le plus lu et le lus connu.
Mais ma question demeure : quelle mouche a piqué le père Kodjo, pour sintéresser hic et nunc aux Pères de son Eglise chérie ? Moi je le soupçonne dadhérer à laffirmation de Saint-Augustin : « quand Dieu couronne nos mérites, il ne fait que couronner ses dons » !? Cela aurait bien mérité une confession de sa part, mais lhomme ne se lâche pas, et cest un peu dommage !
Edem KODJO, Les Pères de lEglise. Lélaboration de la doctrine chrétienne, de la fin du Ier siècle au Vème siècle, Editions Saint-Augustin Afrique, Lomé, 2008.
ISBN 978-2-84693-078-9