Lannonce de lémission qui nous invite à une discussion entre amis est claire : « Autour dun repas, le maître de cérémonie, Thierry Ardisson, mitonne ses dîners en fonction de lactualité et de ses envies. Tout se passe comme à la maison »
Nous sommes prévenus. Lémission du 4 avril 2006 sintitule déjà Dîner Ya bon. Tout un programme.
Lon eut droit en réalité au show du duo décrivains Picouly/Kelman. Dun côté, un Bourguignon mégalomane, spécialiste du moi-je, incapable de faire une analyse sociétale digne de ce nom mais en revanche très prolixe lorsquil sagit de passer la soirée à ramener le débat autour de sa petite personne et de son navrant best-seller. De lautre, un écrivain vociférateur né dun « papa noir et dune maman blanche » qui forme ce soir le parfait complément du « maniocophobe ».
Les autres invités sont les animateurs Claudy Siar, Magloire, Élisabeth Tchoungui, Vanessa Dolmen et lécrivaine Michelle Maillet. Ils seront rejoints plus tard par deux membres du club Averroès, un groupe chargé de favoriser la diversité.
Le décor est installé. Les acteurs sont connus. Entrons dans la danse à partir de la minute 28. Cest à ce moment précis que lémission commence à semballer. Gardons en tête que lémission est montée après avoir subi des coupes.
Minute 28
Arrivée de Gaston « moi-je moi-je » Kelman et de lécrivaine Michelle Maillet. Après les présentations aux autres invités déjà à table, tout ce joli petit monde se détend, remarque quils se connaissent presque tous et se gaussent en évoquant lexistence « dun lobby » et se tapent dans les mains, lair de dire « jen suis, allez tape cinq ». Élisabeth Tchoungui affirme à Thierry Ardisson : « on a compris le truc, hein !! ». Ah bon, quel truc ?
Minute 30
Thierry Ardisson reprend une thèse de lécrivain Daniel Picouly qui est celle de limpossibilité, pour lui, de mettre sur pellicule les histoires quil raconte dans ses livres car aucun acteur « de couleur » (sic) nest bankable en France. Lanimateur prend conscience dune chose qui ne lui était jamais venue à lesprit et note la gravité du constat. Tout le monde acquiesce : « oui cest grave ! »
Mais parmi tous ceux qui admettent la gravité de cette réalité, combien ont une véritable conscience qui impose la résolution de ces sujets comme constitutive de leur univers mental et intellectuel ? Combien en font un impératif inaliénable auquel il leur sera moralement impossible de se soustraire tant quexisteront ces situations dans une société qui est aussi la leur ? À part Claudy Siar, on en voit aucun.
Cest, bien entendu, du « one shot » émotionnel télévisé. On sindigne un bon coup en public mais dans la vie de tous les jours on se laisse corrompre par les « dessous-de-table affectifs » que la majorité morale refile à ceux qui adhèrent à la pensée normative, achetant ainsi leur inféodation aux idées dominantes.
On le voit dailleurs très bien dans tous les débats sur les minorités visibles : certains Noirs ou pseudos-Noirs [2] opportunistes qui nont jamais eu aucune conscience deux-mêmes et de souci, ni de leur place et encore moins de leur image dans la société, surgissent de partout lorsquil sagit de gratter une promotion sociale au détriment de la discrimination ou de se faire une bonne place grâce au « piston épidermique ».
Et lon entend : « Les Noirs devraient être ravis car X est la première journaliste black à présenter les news de telle filiale de TF1 ». Oui, et alors ? Les Noirs devraient lui rendre la monnaie de quelle pièce au juste ? Excepté ce qui implique limportance du fameux « combat pour sa propre image » qui construit une représentation valorisante de soi, le débat sur l enchantement des Noirs à voir une pseudo-Noire à la tête dun journal est une fumisterie. Ce qui devrait être une banalité est ici transformée en quelque chose dexceptionnelle.
Pourquoi ne pas inviter Charles Pasqua, Michel Lis le jardinier, Casimir ou Footix pour quils puissent, eux aussi, donner leur avis sur le sujet ? Car après tout, ils sont tous aussi incompétents et disqualifiés que certains opportunistes noirs ou pseudo-noirs sortis de leur tanière du fait dune lumière qui, croient-ils, leur permettra de briller. On ne les a jamais entendus sur les problématiques noires en France, trop occupés, en tant que wannabe passifs, à se mettre à la disposition exclusive dune certaine « aristocratie raciale » quils rêvent de rejoindre par tous les moyens. Dailleurs pour apaiser leur mauvaise conscience ce sont ceux que lon entendra en faire le plus sur la « communauté » et leurs « racines ».
Élisabeth Tchoungui eut loccasion dévoquer ces réalités…et elle pondit un roman genre « opération Mayotte Capécia » où il est question de narrer lhistoire de la « petite Africaine misérable et presque sauvage qui tombe amoureuse du gentil Français, et tout est beau et joli sauf que les parents y sont cont et blablabla et blablabla »
« Ça na pas déjà été fait ? », demande le candide ? Si, mille fois. Mais lorsque lon veut absolument vendre du papier et que lon na pas trop de dignité, en France, on doit sadapter à la demande, et donc sacrifier aux clichés. Quoique lon doute fort qu Élisabeth Tchoungui eût besoin de se forcer beaucoup pour sabandonner à cela. Car lorsque lon lit une interview dans laquelle elle dit au sujet du personnage de son roman : « Je voulais que le personnage principal soit une femme car je trouvais important de rendre hommage à mes surs africaines, à leur courage, leur dignité et leur dynamisme car elles sont lavenir de lhumanité et de lAfrique en particulier.
Dans mon livre, les femmes africaines font tout le boulot et les hommes ne sont là que pour boire et pour se battre. Nen déplaise à mes lecteurs, je trouve que cest souvent le cas. Cest la femme qui porte la famille et on ne lui rend pas assez hommage » [3], on ne voit pas trop de différence avec le discours de la plupart des rappeurs stupido-beaufs américains sur les femmes noires quils traitent de « bitches ».
Et bien sûr, pas de réaction de la journaliste de cet ancien « magazine de la femme noire » – devenu le « magazine de la femme » – pour relever ce stéréotype émanant dune pauvre petite cruche qui, le temps dun instant, sest prise pour Le Pen, et fait de lhomme dAfrique le pendant des hooligans des stades anglais.
La petite Africaine ne peut aimer quun homme, un vrai et cet homme est blanc. Forcément. Fanon lavait déjà écrit en ironisant. Notre écrivaine Franco-camerounaise, elle, le pense inconsciemment. Mais en remettant les choses à leur place et en analysant ses conclusions tout devient clair. Cest une donnée constituante de son univers mental : un discours anodin en surface mais un simple coup dil jeté sur les interviews permet de mieux appréhender la pensée réelle.
Car si écrire est une chose dans laquelle sont permises la pondération-correction et leuphémisation des propos après relecture, en revanche, dans une interview, cette modification devient impossible. Et lorsque lon est plein de fiel à lendroit dune catégorie de gens, il faut faire attention à chacun de ses mots et être très habile pour pouvoir dire le fond de sa pensée de manière édulcorée sans choquer ou faire des généralités.
Tout le monde na pas ce talent. Calixthe Beyala en a fait les frais dans une émission télé de Mireille Dumas consacrée aux couples mixtes où, tenant le même discours dédaigneux quÉlisabeth Tchoungui au sujet des Africains – il faudrait revoir lémission pour être frappé par le mimétisme narratif, sauf que Calixthe Beyala est tout de même beaucoup plus fielleuse que sa digne héritière -, elle est allée expliquer pourquoi elle ne fréquentait que des hommes blancs. Et pour cela, il fallait bien entendu charger le dos de la mule au maximum. Pour faire court, on dira que, selon elle, lAfricain est un bon à rien, misogyne, autoritaire et polygame duquel rien ne bon ne peut émerger.
À vrai dire, beaucoup d écrivains noirs ou pseudo-noirs de France, préoccupés par leur seul désir dassimilation, nont aucune conscience. Ce ne sont que des vendeurs dexotisme bas de gamme dont on a soupé. Dans les sujets sociaux, cest encore pire : chercher des livres contemporains qui traitent de lobjet social concernant directement les Noirs est une gageure. [4]
Ils font ce quils veulent ? Bien évidemment, et encore heureux pour eux. Mais pourquoi faire semblant dêtre socialement impliqué et préoccupé par le devenir, limage, la place du Noir dès que des émissions simplificatrices de ce genre apparaissent ? Pourquoi reprocher aux employeurs français de stéréotyper lhomme noir quand, in fine, son propre raisonnement se rapproche beaucoup de cette conclusion au point de sy fondre ? Cest un moyen comme un autre de faire sa promo, de se montrer ?
Minute 31
Thierry Ardisson évoque « candidement » laffaire Pétré-Grenouilleau en se tournant vers son voisin et ami Daniel Picouly – la société de Thierry Ardisson produit son émission Café Picouly -, dont on peut soupçonner quil connaisse parfaitement la position sur le sujet : « Ce Pétré-Grenouilleau, parce que moi jentends toujours parler de ce Pétré-Grenouilleau… Max Gallo est venu men parler…Mais quest-ce quil a dit de si extraordinaire que cela ? »
À cet instant, Daniel Picouly se lance dans une explication qui vaut son pesant de cacahouète : « Il a rien dit dextraordinaire. Il a dit …il est professeur à Nantes, cest un Nantais qui a montré quavant la traite atlantique il y avait une traite interne. Cest-à-dire quil y avait à lintérieur de lAfrique, que ce soit du côté ou des musulmans ou des Africains, une traite interne (…) [ dans le brouhaha, une contradiction inaudible émerge. Daniel Picouly hausse le ton et vocifère un assourdissant « BIEN SUR !! » ] (…) il a mis un pluriel qui a un peu agacé : résultat les Antillais lont attaqué sur le sujet et cest là que jai trouvé que cétait un petit peu excessif (…) Moi je trouve quil a raison de mettre en perspective [5] les traites plutôt que de sen tenir à ce commerce triangulaire qui est un aspect de la traite (sic). Sinon on se retrouve avec cette idée un petit peu étonnante que le Noir serait incapable de traite. Cest ça lidée quil y a derrière tout ça »
Flagrant délit de mensonges de larrogant et péremptoire Daniel Picouly, doublée dune ignorance totale de la dite « affaire Pétré-Grenouilleau ». Le collectif qui a attaqué lhistorien (http://www.grioo.com/info4864.html) et qui a retiré sa plainte depuis la fait sur la base dune interview dans laquelle Olivier Pétré-Grenouilleau, semmêla les pinceaux au point de prêter à la loi Taubira un contenu rhétorique qui nexiste tout simplement pas. Dans lesprit dOlivier Pétré-Grenouilleau, il est clair que la Shoah serait le synonyme absolu et exclusif de « génocide », de sorte que toute autre situation qui se prévaudrait de cette qualification se verrait rejeter pour plagiat.
Le collectif Dom avait donc porté laffaire au tribunal pour négation de crime contre lHumanité, puisque lhistorien se mettait en contravention avec la loi Taubira. On peut être daccord ou non avec les diverses lectures, les prises de position des uns et des autres mais la réalité est là. Et lon ne peut pas dire qu Olivier Pétré-Grenouilleau a été attaqué pour son livre[6]
Voici donc la vraie nature de laffaire Pétré-Grenouilleau. Mais les soutiens de lhistorien ont profité dune atmosphère délétère ( émergence de laccusation de racisme anti-blanc, pétition des Indigènes de la République, affaires Dieudonné etc.) pour déformer ses fondements réels en jouant sur la saturation des Français vis-à-vis de certains thèmes. Ils ont échafaudé laffaire Pétré-Grenouilleau afin dalimenter le fantasme des communautés hostiles qui vont jusqu à remettre en cause nos hommes de sciences, nos lois, nos institutions au motif que lhistoire, la vraie, ne leur plait pas.
Minute 36
Daniel Picouly précise sa pensée et, en braillant, assène : « Ya un truc qui va pas…Pourquoi ya pas un historien black qui ait traité ce problème ? »
Pourquoi spécialement « black » ? Pour dire la vérité, faire une analyse honnête sur un sujet il faut être noir ? En fait, il faut comprendre par-là que les Noirs ont besoin de lassentiment dun « fwewe » pour accepter des faits historiques. Pourtant, des Noirs qui ont dit du bien dOlivier Pétré-Grenouilleau on en connaît mais ce nest pas pour autant que « les Noirs » se sont mis au diapason de ces gens. Sait-il que « les Noirs » ce nest pas une secte sous la coupe dun gourou mais des gens adultes, hétérogènes qui réfléchissent individuellement, de sorte quun « Noir X » en désaccord avec la théorie de la relativité ne risque pas de ladopter parce quun « Noir Z » ladmet comme scientifiquement valable ? On prend les Noirs encore pour des grands enfants ?
Dans « Le livre noir du colonialisme », sorti en 2003, ce sujet est abordé dans lintroduction – par Marc Ferro – et dans louvrage. Toute une littérature lévoque depuis des années : africaine et américaine. Le profane, ne comprenant rien du vrai débat du livre, porte lobjet de la polémique sur ce quil croit avoir découvert en en lisant un résumé : on aurait, bien entendu, tenté de lui cacher cette vérité, doù la théorie conspirationniste. Il lui suffisait pourtant douvrir des livres…
La question serait plutôt de savoir comment se fait-il que les « partisans » dOlivier Pétré-Grenouilleau naient pris conscience de ce débat quà ce moment précis et pas avant 2005 ? La réponse est cruelle mais véridique : ils nen avaient rien à faire et nont instrumentalisé le livre de lhistorien nantais que parce quil arrivait au bon moment.
Minute 47
Gaston Kelman : « Koffi Annan aujourdhui quand même, qui est le secrétaire général de lOnu, il a pas apporté beaucoup au peuple africain (sic ) »
Minute 48
Gaston Kelman amorce sa provocation : « Jai acheté Tintin au Congo parce que je veux pouvoir rire de ça. Vous avez vu dans mon premier livre jai mis le florilège des blagues. Ce qui est extraordinaire cest que toutes ces blagues (…) sont des blagues blondes et belges sauf quon peut les faire aux blondes, aux Belges mais on a pas le droit de les faire aux Noirs. Tout le monde ma tiré dessus (…). Pourquoi est-ce quon ne peut pas rire par exemple aujourdhui du fait que » quest-ce qui est plus bête quun Noir ? Deux Noirs ! » ( éclat de rire…de Daniel Picouly – Ça étonne des gens ? ). Cest dune banalité, dune nullité absolue !!! »
Bien entendu, le maître ès confusions et verbiages bas de gamme est ici dans son élément. Il croit mordicus que, lorsque les blondes et les Belges entendent des blagues qui les tournent en ridicule, ils trouvent cela drôle et en redemandent. Ainsi les seuls qui passeraient leur temps à se lamenter seraient les Noirs. Cette charpente argumentative est dune bêtise tellement basse quelle constitue une infraction à lintelligence qui nétonnera personne sachant de qui elle émane.
Est-ce que cette blague fais rire : quest-ce qui est plus bête quun Néo-Zélandais ? Deux Néo-Zélandais ! Bien sûr que non car dans limaginaire français le Néo-Zélandais ne traîne pas sur son faciès, sa lignée et son histoire toutes les tares de larriération intellectuelle. Alors que le Noir, si. La blague est donc plus appropriée pour lui et ses compagnons dinfortune que sont dautres colonisés. Aussi, lorsque que lon remplace « Néo-Zélandais » par « Noir » et que, soudainement lon découvre les vertus « poilantes » de cette blague – vertus qui nexistaient pourtant pas à son stade précédent -, cest que lon a un problème qui ne relève plus de la pudeur et de la réserve comme le dit le démagogue Kelman. Cela sappelle des préjugés raciaux. Et Gaston Kelman en est plein.
Sil existait un « Gaston Kelman des Belges » il nous dirait que les blondes et les Noirs acceptent quon les ridiculise mais pas ces pleurnichards de Belges. Si lon écoutait le « Gaston Kelman des Blondes », il nous annoncerait, peu ou prou, la même chose des Noirs et des Belges pour mieux stigmatiser le manque dhumour des blondes. En réalité, ni les Belges ni les blondes ni les Noirs ni personne naiment entendre des blagues essentialisantes qui les enferment dans une tare congénitale au motif que celles-ci participent dun lieu commun tourné à la rigolade. En revanche, celui qui, parmi eux, les intègre dans son espace mental et les reconnaît comme ayant un pouvoir comique conforme à son esprit, aura toujours tendance à prétendre que les autres groupes les acceptent sauf le sien.
Les Noirs devraient rire dune raillerie aussi débile que « quest-ce qui est plus bête quun Noir ? Deux Noirs ! » ? Et au nom de quoi ? Après tout, le fait den rire ne serait-il pas justement le signe de la bêtise contenue dans lénoncé ?
En France, on na pas réduit les blondes et les Belges à létat de cheval de trait au motif quils étaient bêtes, sales, diaboliques, pêcheurs, sanguinaires, bestiaux ou simiesques. On ne les a pas non plus exposés de leur vivant derrière un enclos pour, à leur décès et au mépris de la morale et de la loi, découper leur cerveau et leur sexe pour les exposer dans un bocal avant de disséquer leur corps, le tout accompagné de ce lumineux commentaire : Ils ont surtout « une manière de faire saillir [leurs] lèvres tout à fait pareille à celle que nous avons observée dans lorang-outan » [7] Tout cela fut une réalité pour le Noir. Et cest un Noir qui ose, aujourdhui en 2006, venir expliquer à la France que le Noir naccepte pas, de la même manière que dautres, des blagues qui le renvoient à son inintelligence organique.
Limpact sur les consciences nest par conséquent pas le même pour les trois parties en présence et la comparaison ninspire que le dégoût et le mépris. Gaston Kelman oserait-il faire des blagues sur le « nez crochu » des Juifs en défendant son propos par le fait « quon nen fait bien sur les yeux bridés des Asiatiques mais quon a pas le droit den faire sur le nez des Juifs » ? Sur les consciences françaises, les yeux bridés des Asiatiques nont aucune occurrence symbolique – même lointaine – qui soit équivalente au mythe du nez crochu. Lévoquer, cest mettre à lindex ceux que cette propagande visa en les renvoyant à leur statut de parasites de la société quil faut apprendre à différencier des vrais Français.
Ces scrupules, Kelman ne les a pas vis-à-vis des Noirs car, au fond, leur dignité lui est odieuse. Il se fait un malin plaisir à la piétiner, à la rabaisser dès quil le peut, en usant de sophismes et en donnant limpression quil est dans une posture courageuse et transgressive. Non, ce qui serait transgressif ce serait justement dopter pour lautre proposition afin de se mettre toute la France à dos. Et là, il pourra faire son fanfaron.
Mais Gaston Kelman ne comprend pas que lhumour nest que lalibi décoratif pour, très souvent, recycler les préjugés raciaux enfouis dans linconscient des Français depuis des siècles. Lorsque les joueurs noirs du championnat italien de football touchent un ballon, cest sous les huées et les imitations de cris de singe, pas sous ceux de gloussements de poule ou de croassements de corbeau. Pourquoi les singes plus que les hippopotames ou les brebis ? Il suffit de se référer à lhistoire…
Étrange que quelquun qui prétend avoir lu Fanon [8]soit incapable de comprendre cela alors que la fonction de limposition culturelle recoupe parfaitement cette question. Mais au fait, Kelman a retenu quoi de Fanon à part « il ny a pas de Blanc, il ny a pas de Noir » ?
Minute 48
Gaston Kelman assène, péremptoire, « Banania cétait à une époque assez reculée de lhistoire. Franchement aujourdhui ce nest pas une histoire que le Noir nétait pas un homme au début du siècle. [ intervention de Michelle Maillet qui répète par deux fois : « il nempêche que jen ai souffert », mais Kelman sen moque. Monsieur détient sa petite vérité bidouillée à grands coups dastuces rhétoriques ronflantes. Il ne lâchera donc rien et poursuit ] . Lune des premières valorisations du Noir cétait le tirailleur sénégalais (sic). Cétait un signe de reconnaissance de la bravoure, de la beauté de ce mec ( sic ), de sa présence, de son courage à la guerre. Après on a dévoyé limage du tirailleur sénégalais ». Acquiescement de Daniel Picouly qui lance : il a raison !
Puis Daniel Picouly tente de démontrer labsurdité des agissements de lassociation qui a demandé le retrait du slogan Ya bon Banania – cest la même qui attaqua Olivier Pétré-Grenouilleau.
On se demande, tout au long de lémission, quest-ce que cet homme a à beugler de la sorte, dautant quen face de lui il na quasiment quun seul contradicteur. Pour se convaincre davoir raison ? Daniel Picouly pense sans doute quen hurlant, sa voix va couvrir celle des autres et ainsi entériner son triomphe : « Faire disparaître Banania cest faire disparaître la critique de Banania (…) Dès que ça a disparu on ne parle plus, donc on ne réagit pas et ça cest grave »
Gaston Kelman se prépare à prendre le relais et fonce tête baissée. Il sindigne que cette association antillo-guyano-réunionnaise se soit occupée du cas Banania qui concerne les Africains : « ça aussi ça magace ». « Pourquoi », demande laudience en chur ? « Parce quil ny a pas de Noirs ( …) la création du Noir est une création de Blanc (…) on me demandait quest ce que tu penses de lAfrique jai dit elle nexiste pas ».
Quel est le rapport entre ses billevesées et le sujet débattu ? Aucun. Mais comme il tente de placer les deux trois réflexions au rabais quil a laborieusement compilé dans son crâne, il faut bien que cela serve jour. Le « Collectif Dom » ne se définit pas comme étant un « collectif noir » – cest vraiment mal le connaître – et quand bien même il se déterminerait ainsi, quest-ce que la question de lexistence ou non des Noirs vient faire dans ce déni du droit de porter plainte contre une société qui véhicule une telle image ?
Devant les inepties de limbécile heureux bourguignon, Daniel Picouly crachouille, pour la 1001ème fois, « il a raison ». Moue consternée de Michelle Maillet.
Oui, le Noir nexiste pas mais « lune des premières valorisations du Noir cétait le tirailleur sénégalais », dixit le même Gaston Kelman. Et personne pour clouer le bec de ce pathétique sophiste qui se contredit sans cesse ? Élisabeth Tchoungui passe son temps à rire. Dun autre côté, il ny a que cela quelle puisse faire, non ? Claudy Siar bougonne. Magloire est muet – dans le montage, du moins – car lorsque Gaston Kelman lui demande sil sait ce quest lAfrique, il na pas même le temps desquisser un début de réponse que le « lider minimo bourguignon » la déjà rembarré avec mépris. Quant à Ardisson, il veille avec un soin tout particulier à ce que le combustible ne manque pas à cette « machine à débiter des conneries » quest devenu le Bourguignon. Il sarrête sur chacun de ses sophismes, comme si cela en valait la peine : « le Noir est une création du Blanc » !
Le tirailleur sénégalais nétait que de la chair à canon pour la France. Un « signe de reconnaissance de la beauté du Noir » ? En 1915 ? Lors de la création du slogan Ya bon Banania, on évoquait la « beauté du Noir » ? Du mâle noir ? Beauté ? En France ? À lépoque où les zoos humains se vulgarisaient dans toute lEurope, brassant des millions de spectateurs hilares, moqueurs et méprisants, fascinés par la présumée sauvagerie de lAfricain supposé à la fois polygame, cannibale, fieffé fornicateur, fétichiste et arriéré ? Au temps où les spectateurs qui allaient voir les indigènes au zoo leur jetaient de la nourriture au-dessus du grillage, comme ils le feraient pour des chimpanzés ?
Soumis, obéissant au doigt et à lil, le tirailleur sénégalais prend certes une nouvelle image durant la période 1910-1915. Il devient amical et domestiqué mais, tel un berger allemand que lon a dressé pendant des mois, on vante dabord sa force et sa loyauté puisquon les instrumente au service de la France. Quand on lui dit de mordre, il mort. Quand on lui dit que lAllemand est le nouveau nègre, le tirailleur y croit et se met à lexécrer de toute ses forces. Cest cette image dallégeance totale et exclusive que lon vend aux Français. Limage dun nègre dont le dressage est arrivé à terme après un long enseignement. Cette soudaine sympathie est tout simplement utilitariste.
Cest en 1910 que tout commence. Dans son fameux livre de propagande intitulé La Force noire, le lieutenant-colonel Mangin dévoile son fantasme : transformer lAfrique française en une énorme réserve militaire où la France pourrait puiser ses soldats.
Pour Mangin, si les Français jetaient un oeil au-delà du Sahara, ils trouveraient « sur les bords du Sénégal, du Niger, du Tchad, du Congo, de nouvelles terres fertiles, de nouvelles populations soumises à la France ; notre Afrique noire compte vingt millions dhabitants, quatre fois plus que l Algérie. Elle nous donne déjà 20.000 soldats incomparables, qui ont fait leurs preuves sous notre drapeau, non seulement sur leur propre sol, mais à Madagascar et au Maroc. Nest-il pas possible dutiliser ces nouvelles ressources ? (…) Le résultat serait la création dune armée, dont le camp serait en Algérie et le réservoir en Afrique occidentale (…) il nous faut examiner rapidement quels exemples nous présente lhistoire de lutilisation militaire de la race nègre, en particulier en Afrique du Nord » [9]
Par la suite, tout le Livre II, III etc. ne sont quun panégyrique à légard des armées nègres, avec la seule volonté de démontrer que les Noirs ne sont réductibles quà leur talent de guerrier et leur dévouement à ceux qui les commandent : Lislam et la force noire, La garde noire contre lEmpire Grec, La Garde noire des Oméiades dEspagne, Une capitale noire au Maroc, Larmée africaine de la Guadeloupe etc.
Mangin vante ouvertement lutilisation des troupes sénégalaises dans la « pacification » – on sait ce que cela signifie : imposer la terreur au nom de la France – de pays comme le Congo et Côte dIvoire. Pour lui « le noir naît soldat plus encore que guerrier, car son instruction militaire est facile et il a le sentiment de la discipline. Cette facilité dinstruction, qui surprend au premier contact, vient de ce que les réflexes sont très faciles à dresser chez les primitifs, que na encore déformés aucun effort. Le noir na jamais peiné (…) Lhomme de recrue sinstruit par imitation, par suggestion ; il a peu réfléchi avant dentrer au service et on atteint chez lui linconscient presque sans passer par le conscient » [10]
Pour Pascal Blanchard et Éric Deroo, deux spécialistes de lhistoire coloniale française, il ne fait aucun doute que « dès 1915, avec le célèbre Ya bon (…) le stéréotype du bon noir va évoluer vers une humanisation de son image. Se construisent alors des représentations dun personnage naïf, gentil, un peu simplet et gauche, mais généreux et puissant. Limage initiale de la barbarie est domestiquée, cest la naissance du grand enfant. Cest aussi la preuve de la capacité assimilatrice de la République qui, par son action, conduit les peuples sauvages à la lumière, à la civilisation. (…)
Aux lendemains du conflit, la réclame va utiliser les clichés les plus éculés sur le Noir, en sappuyant sur limagerie développée par Banania pour vendre : nez épaté, lèvres monstrueuses et dents gigantesques de lanthropophage. Celui-ci doit aussi être drôle, sympathique, ridicule et gentil. La couleur a également fasciné les créateurs. La chéchia rouge, emblème de lappartenance au corps délite des Tirailleurs Sénégalais, occupe la moitié du visage » [11]
Kelman plein de gratitude pour les gentils Français qui ont donné la première image positive du Noir, est-il le même homme qui raillait le « black & proud » américain qui, selon lui, démontrait le complexe dinfériorité du Noir face au Blanc ? Et comment traduit-il donc son enthousiasme qui naît dune prétendue image positive du tirailleur ?
Présenter le Noir comme un grand enfant, pas très intelligent mais compétent pour effectuer la sale besogne, relève dune image positive ? Les tirailleurs sénégalais sont les vigiles de supermarché dhier : limage du Noir viril, sportif, impressionnant par sa carrure naturelle et la crainte quil suscite chez le Français moyen : pas touche à mes friandises sinon je lâche mes nègres qui ne rêvent que de bouffer du Blanc. Quand il sourit il rassure et on le prend pour un benêt. Quand il fronce les sourcils on se demande à quelle sauce il va nous manger.
Conclusion : lAfrique nexiste pas, le Noir nexiste pas. Quel est par conséquent lintérêt de lémission sur un sujet qui nexiste pas ?
En ce jour, nous avons vu un duo décrivains, arrogants, surexcités, hargneux, élevant la voix à la moindre – et très rare – contradiction. Espérons que le dîner, contrairement à lémission, était au moins bon…
© Kahm Piankhy – Texte libre dutilisation, conditionné par la citation de la source – avril 2006
Source : www.Piankhy.com
Note :
1. La couverture de son livre « Paulette et Roger » est très significative. (http://www.qui-se-soucie-de-moi.fr\…) _ Daniel Picouly était présenté – et se présentait lui-même – sur les plateaux de télévision, au tout début de sa carrière, comme étant né dun « papa noir et dune maman blanche ». En France, on a tendance à appeler « noir », tout ce qui est légèrement cuivré de peau, originaire des îles et racialement non-catégorisable. Ce qui est sûr, cest que Roger Picouly nest certainement pas un Noir ( mélanoderme ). Reste à savoir pourquoi Daniel Picouly vend le couple que formaient ses parents comme étant un couple mixte blanc/noir. Sûrement sait-il que, sur le plan du pathos, il est préférable de négrifier un parent lorsque lon veut lengager dans une dimension affective qui va toucher le Français moyen en accentuant volontairement le contraste noir/blanc. Plus tard, une évolution se fit remarquer puisquon nous le présente désormais comme un quarteron. CQFD
2. Ceux qui ne le sont que lorsque cela les arrange.
3. Interview publiée dans Amina de janvier 2006 http://www.arts.uwa.edu.au/aflit/AM…
4. Ce nest pas non plus que de la faute des écrivains. Il y a une sélection, dont la gestion incombent aux seuls éditeurs, et elle a pour effet de tamiser et filtrer au maximum les plus aptes à vendre, tout simplement.
5. Existe-t-il une connotation raciale dans la traite atlantique ? (http://www.monde-diplomatique.fr/19…) En dautres termes, est-ce que les Noirs sont une simple catégorie de lhumanité, corvéables à souhait indistinctement de leur couleur de peau ? Rappelons-nous que tout au long du Moyen-âge, les Empires Germains ou les Républiques maritimes dItalie pratiquaient allégrement la traite de païens slaves quils considéraient comme des barbares. On les vendaient comme des mules sur des marchés. La traite étant un « transport de marchandises », le terme convient parfaitement ici. Saint Bernard de Clairvaux et le pape Eugène III cautionnaient les croisades contre les Slaves. A lest de lElbe, les Germains passent nombre de ces derniers par le sabre au nom du Christ et se jurent de détruire le paganisme présent en Europe orientale. Selon Saint Bernard, les Slaves doivent être « détruits ou convertis »
Cest seulement après la conversion que la traite des païens cessent dans ses grandes lignes. Dorénavant, ils embrassent en grande majorité la même religion que leurs anciens oppresseurs. Lorsque les Européens se tournent vers lAfrique pour rechercher leur main-duvre, ils trouvent des païens noirs et une minorité de musulmans. Les Africains déportés vers les Amériques sont tous convertis au christianisme une fois arrivés sur place. Mais sont-ils affranchis au motif de leur conversion, comme ce fut le cas pour les Slaves ou les Bulgares ? Voilà où se situe la différence : les Noirs sont considérés comme une catégorie inférieure de lhumanité et sont un contenant avant dêtre un contenu. Même convertis au christianisme, ils demeurent des sous-hommes aux yeux du monde.
Les Chrétiens dEurope, faisant pression pour que les croisades menées contre les « Orientaux » permettent à ces derniers daccéder à la Chrétienté, et donc à limpossibilité morale de mettre des frères de religion en servitude, sont les mêmes qui trouvaient cela normal chez leurs mêmes frères de religion des Caraïbes. La question raciale est au centre de la question de lesclavage et de la traite atlantique. Sans le racisme, ces Noirs auraient dû être affranchis, au même titre que les Slaves.
6. Daniel Picouly aurait pu sen prendre à Gaston Kelman puisque celui-ci écrit dans son premier livre : « La traite, véritable crime et génocide contre lAfrique noire ». Or le débat porte justement sur la qualification du crime. Quest-ce donc, un simple commerce ou un crime prenant comme cible une race supposée ou réelle ?
7. Ces termes sont ceux du rapport de Georges Cuvier qui kidnappa littéralement le cadavre de la « Vénus Hottentote » pour en faire une étude détaillée. De son vivant, Cuvier navait de cesse de harceler la pauvre Saartje Baartman pour quelle lui dévoile son sexe dont il avait fait une obsession. Saarje refusa tout net. LHottentote meurt alcoolique et déprimée en 1816 après avoir été exposée comme une bête de foire et vendue à plusieurs propriétaires qui exploitaient le filon « sauvage dAfrique ». Ses organes génitaux furent moulés puis mis en bocal. ( Georges Cuvier, « Extrait dobservations faites sur le Cadavre dune femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus Hottentote, » Mémoires du muséum dhistoire naturelle )
8. Kelman aurait dû reprocher à lauteur de Peau noire, masques blancs de ne pas sesclaffer à chaque fois quune tarte à la crème venait saplatir sur le faciès dun Noir aux gros yeux globuleux et tremblant face au Blanc dont il redoute la sainte colère. Fanon qui redoutait larrivée du « Négro banania » à lécran à chacun des films américains quil regardait, était-il nul lui aussi ?
9. Lieutenant-colonel Mangin « La force noire », p. 100-101
10. Op. cit. p. 236
11. Revue Quasimodo n°6 « Du Sauvage au Bon Noir » http://www.revue-quasimodo.org/PDFs…