Du côté des autres blogs :Un dîner chez Thierry

ardisson_0.jpgN’ayant pas l’occasion de regarder fréquemment la télé, il arrive que je me rattrape en surfant sur le net, à la recherche des impressions des autres sur telle ou telle émission. Ainsi, ce matin, suis-je tombé sur un blog et un texte de Kahm Piankhy (www.Piankhy.com), que j’ai décidé de partager avec vous. Il y est question d’une émission de Thierry Ardisson, (datée du 30 mai 2006) sur la chaîne Paris Première, à laquelle participaient, en guest-stars, la journaliste et écrivain Elisabeth Tchoungui, l’essayiste Gaston Kelman et le romancier Daniel Picouly. Bonne lecture (K.A.)

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Il est des émissions TV qu’il vaut mieux regarder le ventre vide, au risque de régurgiter le dernier repas pris sur ceux qui partagent la contemplation du navrant contenu de la boite carrée.

ardisson_0.jpgL’annonce de l’émission qui nous invite à une discussion entre amis est claire : « Autour d’un repas, le maître de cérémonie, Thierry Ardisson, mitonne ses dîners en fonction de l’actualité et de ses envies. Tout se passe comme à la maison »

Nous sommes prévenus. L’émission du 4 avril 2006 s’intitule déjà Dîner Y’a bon. Tout un programme.

L’on eut droit en réalité au show du duo d’écrivains Picouly/Kelman. D’un côté, un Bourguignon mégalomane, spécialiste du moi-je, incapable de faire une analyse sociétale digne de ce nom mais en revanche très prolixe lorsqu’il s’agit de passer la soirée à ramener le débat autour de sa petite personne et de son navrant best-seller. De l’autre, un écrivain vociférateur né d’un « papa noir et d’une maman blanche » qui forme ce soir le parfait complément du « maniocophobe ».

Les autres invités sont les animateurs Claudy Siar, Magloire, Élisabeth Tchoungui, Vanessa Dolmen et l’écrivaine Michelle Maillet. Ils seront rejoints plus tard par deux membres du club Averroès, un groupe chargé de favoriser la diversité.

Le décor est installé. Les acteurs sont connus. Entrons dans la danse à partir de la minute 28. C’est à ce moment précis que l’émission commence à s’emballer. Gardons en tête que l’émission est montée après avoir subi des coupes.

Minute 28

kelman_0.jpgArrivée de Gaston « moi-je moi-je » Kelman et de l’écrivaine Michelle Maillet. Après les présentations aux autres invités déjà à table, tout ce joli petit monde se détend, remarque qu’ils se connaissent presque tous et se gaussent en évoquant l’existence « d’un lobby » et se tapent dans les mains, l’air de dire « j’en suis, allez tape cinq ». Élisabeth Tchoungui affirme à Thierry Ardisson : « on a compris le truc, hein !! ». Ah bon, quel truc ?

Minute 30

Thierry Ardisson reprend une thèse de l’écrivain Daniel Picouly qui est celle de l’impossibilité, pour lui, de mettre sur pellicule les histoires qu’il raconte dans ses livres car aucun acteur « de couleur » (sic) n’est bankable en France. L’animateur prend conscience d’une chose qui ne lui était jamais venue à l’esprit et note la gravité du constat. Tout le monde acquiesce : « oui c’est grave ! »

Mais parmi tous ceux qui admettent la gravité de cette réalité, combien ont une véritable conscience qui impose la résolution de ces sujets comme constitutive de leur univers mental et intellectuel ? Combien en font un impératif inaliénable auquel il leur sera moralement impossible de se soustraire tant qu’existeront ces situations dans une société qui est aussi la leur ? À part Claudy Siar, on en voit aucun.

C’est, bien entendu, du « one shot » émotionnel télévisé. On s’indigne un bon coup en public mais dans la vie de tous les jours on se laisse corrompre par les « dessous-de-table affectifs » que la majorité morale refile à ceux qui adhèrent à la pensée normative, achetant ainsi leur inféodation aux idées dominantes.

On le voit d’ailleurs très bien dans tous les débats sur les minorités visibles : certains Noirs ou pseudos-Noirs [2] opportunistes qui n’ont jamais eu aucune conscience d’eux-mêmes et de souci, ni de leur place et encore moins de leur image dans la société, surgissent de partout lorsqu’il s’agit de gratter une promotion sociale au détriment de la discrimination ou de se faire une bonne place grâce au « piston épidermique ».

Et l’on entend : « Les Noirs devraient être ravis car X est la première journaliste black à présenter les news de telle filiale de TF1 ». Oui, et alors ? Les Noirs devraient lui rendre la monnaie de quelle pièce au juste ? Excepté ce qui implique l’importance du fameux « combat pour sa propre image » qui construit une représentation valorisante de soi, le débat sur l’ enchantement des Noirs à voir une pseudo-Noire à la tête d’un journal est une fumisterie. Ce qui devrait être une banalité est ici transformée en quelque chose d’exceptionnelle.

Pourquoi ne pas inviter Charles Pasqua, Michel Lis le jardinier, Casimir ou Footix pour qu’ils puissent, eux aussi, donner leur avis sur le sujet ? Car après tout, ils sont tous aussi incompétents et disqualifiés que certains opportunistes noirs ou pseudo-noirs sortis de leur tanière du fait d’une lumière qui, croient-ils, leur permettra de briller. On ne les a jamais entendus sur les problématiques noires en France, trop occupés, en tant que wannabe passifs, à se mettre à la disposition exclusive d’une certaine « aristocratie raciale » qu’ils rêvent de rejoindre par tous les moyens. D’ailleurs pour apaiser leur mauvaise conscience ce sont ceux que l’on entendra en faire le plus sur la « communauté » et leurs « racines ».

Tchoungui_0.jpgÉlisabeth Tchoungui eut l’occasion d’évoquer ces réalités…et elle pondit un roman genre « opération Mayotte Capécia » où il est question de narrer l’histoire de la « petite Africaine misérable et presque sauvage qui tombe amoureuse du gentil Français, et tout est beau et joli sauf que les parents y sont cont’ et blablabla et blablabla »

« Ça n’a pas déjà été fait ? », demande le candide ? Si, mille fois. Mais lorsque l’on veut absolument vendre du papier et que l’on n’a pas trop de dignité, en France, on doit s‘adapter à la demande, et donc sacrifier aux clichés. Quoique l’on doute fort qu’ Élisabeth Tchoungui eût besoin de se forcer beaucoup pour s‘abandonner à cela. Car lorsque l’on lit une interview dans laquelle elle dit au sujet du personnage de son roman : « Je voulais que le personnage principal soit une femme car je trouvais important de rendre hommage à mes sœurs africaines, à leur courage, leur dignité et leur dynamisme car elles sont l’avenir de l’humanité et de l’Afrique en particulier.

Dans mon livre, les femmes africaines font tout le boulot et les hommes ne sont là que pour boire et pour se battre. N’en déplaise à mes lecteurs, je trouve que c’est souvent le cas. C’est la femme qui porte la famille et on ne lui rend pas assez hommage » [3], on ne voit pas trop de différence avec le discours de la plupart des rappeurs stupido-beaufs américains sur les femmes noires qu’ils traitent de « bitches ».

Et bien sûr, pas de réaction de la journaliste de cet ancien « magazine de la femme noire » – devenu le « magazine de la femme » – pour relever ce stéréotype émanant d’une pauvre petite cruche qui, le temps d’un instant, s’est prise pour Le Pen, et fait de l’homme d’Afrique le pendant des hooligans des stades anglais.

La petite Africaine ne peut aimer qu’un homme, un vrai et cet homme est blanc. Forcément. Fanon l’avait déjà écrit en ironisant. Notre écrivaine Franco-camerounaise, elle, le pense inconsciemment. Mais en remettant les choses à leur place et en analysant ses conclusions tout devient clair. C’est une donnée constituante de son univers mental : un discours anodin en surface mais un simple coup d’œil jeté sur les interviews permet de mieux appréhender la pensée réelle.

Car si écrire est une chose dans laquelle sont permises la pondération-correction et l’euphémisation des propos après relecture, en revanche, dans une interview, cette modification devient impossible. Et lorsque l’on est plein de fiel à l’endroit d’une catégorie de gens, il faut faire attention à chacun de ses mots et être très habile pour pouvoir dire le fond de sa pensée de manière édulcorée sans choquer ou faire des généralités.

Tout le monde n’a pas ce talent. Calixthe Beyala en a fait les frais dans une émission télé de Mireille Dumas consacrée aux couples mixtes où, tenant le même discours dédaigneux qu’Élisabeth Tchoungui au sujet des Africains – il faudrait revoir l’émission pour être frappé par le mimétisme narratif, sauf que Calixthe Beyala est tout de même beaucoup plus fielleuse que sa digne héritière -, elle est allée expliquer pourquoi elle ne fréquentait que des hommes blancs. Et pour cela, il fallait bien entendu charger le dos de la mule au maximum. Pour faire court, on dira que, selon elle, l’Africain est un bon à rien, misogyne, autoritaire et polygame duquel rien ne bon ne peut émerger.

À vrai dire, beaucoup d’ écrivains noirs ou pseudo-noirs de France, préoccupés par leur seul désir d’assimilation, n’ont aucune conscience. Ce ne sont que des vendeurs d’exotisme bas de gamme dont on a soupé. Dans les sujets sociaux, c’est encore pire : chercher des livres contemporains qui traitent de l’objet social concernant directement les Noirs est une gageure. [4]

Ils font ce qu’ils veulent ? Bien évidemment, et encore heureux pour eux. Mais pourquoi faire semblant d’être socialement impliqué et préoccupé par le devenir, l’image, la place du Noir dès que des émissions simplificatrices de ce genre apparaissent ? Pourquoi reprocher aux employeurs français de stéréotyper l’homme noir quand, in fine, son propre raisonnement se rapproche beaucoup de cette conclusion au point de s’y fondre ? C’est un moyen comme un autre de faire sa promo, de se montrer ?

Minute 31

Thierry Ardisson évoque « candidement » l’affaire Pétré-Grenouilleau en se tournant vers son voisin et ami Daniel Picouly – la société de Thierry Ardisson produit son émission Café Picouly -, dont on peut soupçonner qu’il connaisse parfaitement la position sur le sujet : « Ce Pétré-Grenouilleau, parce que moi j’entends toujours parler de ce Pétré-Grenouilleau… Max Gallo est venu m’en parler…Mais qu’est-ce qu’il a dit de si extraordinaire que cela ? »

picouly_0.jpgÀ cet instant, Daniel Picouly se lance dans une explication qui vaut son pesant de cacahouète : « Il a rien dit d’extraordinaire. Il a dit …il est professeur à Nantes, c’est un Nantais qui a montré qu’avant la traite atlantique il y avait une traite interne. C’est-à-dire qu’il y avait à l’intérieur de l’Afrique, que ce soit du côté ou des musulmans ou des Africains, une traite interne (…) [ dans le brouhaha, une contradiction inaudible émerge. Daniel Picouly hausse le ton et vocifère un assourdissant « BIEN SUR !! » ] (…) il a mis un pluriel qui a un peu agacé : résultat les Antillais l’ont attaqué sur le sujet et c’est là que j’ai trouvé que c’était un petit peu excessif (…) Moi je trouve qu’il a raison de mettre en perspective [5] les traites plutôt que de s’en tenir à ce commerce triangulaire qui est un aspect de la traite (sic). Sinon on se retrouve avec cette idée un petit peu étonnante que le Noir serait incapable de traite. C’est ça l’idée qu’il y a derrière tout ça »

Flagrant délit de mensonges de l’arrogant et péremptoire Daniel Picouly, doublée d’une ignorance totale de la dite « affaire Pétré-Grenouilleau ». Le collectif qui a attaqué l’historien (http://www.grioo.com/info4864.html) et qui a retiré sa plainte depuis l’a fait sur la base d’une interview dans laquelle Olivier Pétré-Grenouilleau, s’emmêla les pinceaux au point de prêter à la loi Taubira un contenu rhétorique qui n’existe tout simplement pas. Dans l’esprit d’Olivier Pétré-Grenouilleau, il est clair que la Shoah serait le synonyme absolu et exclusif de « génocide », de sorte que toute autre situation qui se prévaudrait de cette qualification se verrait rejeter pour plagiat.

Le collectif Dom avait donc porté l’affaire au tribunal pour négation de crime contre l’Humanité, puisque l’historien se mettait en contravention avec la loi Taubira. On peut être d’accord ou non avec les diverses lectures, les prises de position des uns et des autres mais la réalité est là. Et l’on ne peut pas dire qu’ Olivier Pétré-Grenouilleau a été attaqué pour son livre[6]

Voici donc la vraie nature de l’affaire Pétré-Grenouilleau. Mais les soutiens de l’historien ont profité d’une atmosphère délétère ( émergence de l’accusation de racisme anti-blanc, pétition des Indigènes de la République, affaires Dieudonné etc.) pour déformer ses fondements réels en jouant sur la saturation des Français vis-à-vis de certains thèmes. Ils ont échafaudé l’affaire Pétré-Grenouilleau afin d’alimenter le fantasme des communautés hostiles qui vont jusqu’ à remettre en cause nos hommes de sciences, nos lois, nos institutions au motif que l’histoire, la vraie, ne leur plait pas.

Minute 36

Daniel Picouly précise sa pensée et, en braillant, assène : « Y’a un truc qui va pas…Pourquoi y’a pas un historien black qui ait traité ce problème ? »

Pourquoi spécialement « black » ? Pour dire la vérité, faire une analyse honnête sur un sujet il faut être noir ? En fait, il faut comprendre par-là que les Noirs ont besoin de l’assentiment d’un « fwewe » pour accepter des faits historiques. Pourtant, des Noirs qui ont dit du bien d’Olivier Pétré-Grenouilleau on en connaît mais ce n’est pas pour autant que « les Noirs » se sont mis au diapason de ces gens. Sait-il que « les Noirs » ce n’est pas une secte sous la coupe d’un gourou mais des gens adultes, hétérogènes qui réfléchissent individuellement, de sorte qu’un « Noir X » en désaccord avec la théorie de la relativité ne risque pas de l‘adopter parce qu‘un « Noir Z » l‘admet comme scientifiquement valable ? On prend les Noirs encore pour des grands enfants ?

Dans « Le livre noir du colonialisme », sorti en 2003, ce sujet est abordé dans l’introduction – par Marc Ferro – et dans l’ouvrage. Toute une littérature l’évoque depuis des années : africaine et américaine. Le profane, ne comprenant rien du vrai débat du livre, porte l’objet de la polémique sur ce qu’il croit avoir découvert en en lisant un résumé : on aurait, bien entendu, tenté de lui cacher cette vérité, d’où la théorie conspirationniste. Il lui suffisait pourtant d’ouvrir des livres…

La question serait plutôt de savoir comment se fait-il que les « partisans » d’Olivier Pétré-Grenouilleau n’aient pris conscience de ce débat qu’à ce moment précis et pas avant 2005 ? La réponse est cruelle mais véridique : ils n’en avaient rien à faire et n’ont instrumentalisé le livre de l’historien nantais que parce qu’il arrivait au bon moment.

Minute 47

Gaston Kelman : « Koffi Annan aujourd’hui quand même, qui est le secrétaire général de l’Onu, il a pas apporté beaucoup au peuple africain (sic ) »

Minute 48

Gaston Kelman amorce sa provocation : « J’ai acheté Tintin au Congo parce que je veux pouvoir rire de ça. Vous avez vu dans mon premier livre j’ai mis le florilège des blagues. Ce qui est extraordinaire c’est que toutes ces blagues (…) sont des blagues blondes et belges sauf qu’on peut les faire aux blondes, aux Belges mais on a pas le droit de les faire aux Noirs. Tout le monde m’a tiré dessus (…). Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas rire par exemple aujourd’hui du fait que  » qu’est-ce qui est plus bête qu’un Noir ? Deux Noirs ! » ( éclat de rire…de Daniel Picouly – Ça étonne des gens ? ). C’est d’une banalité, d’une nullité absolue !!! »

Bien entendu, le maître ès confusions et verbiages bas de gamme est ici dans son élément. Il croit mordicus que, lorsque les blondes et les Belges entendent des blagues qui les tournent en ridicule, ils trouvent cela drôle et en redemandent. Ainsi les seuls qui passeraient leur temps à se lamenter seraient les Noirs. Cette charpente argumentative est d’une bêtise tellement basse qu’elle constitue une infraction à l’intelligence qui n‘étonnera personne sachant de qui elle émane.

Est-ce que cette blague fais rire : qu’est-ce qui est plus bête qu’un Néo-Zélandais ? Deux Néo-Zélandais ! Bien sûr que non car dans l’imaginaire français le Néo-Zélandais ne traîne pas sur son faciès, sa lignée et son histoire toutes les tares de l’arriération intellectuelle. Alors que le Noir, si. La blague est donc plus appropriée pour lui et ses compagnons d‘infortune que sont d‘autres colonisés. Aussi, lorsque que l’on remplace « Néo-Zélandais » par « Noir » et que, soudainement l’on découvre les vertus « poilantes » de cette blague – vertus qui n’existaient pourtant pas à son stade précédent -, c’est que l’on a un problème qui ne relève plus de la pudeur et de la réserve comme le dit le démagogue Kelman. Cela s’appelle des préjugés raciaux. Et Gaston Kelman en est plein.

S’il existait un « Gaston Kelman des Belges » il nous dirait que les blondes et les Noirs acceptent qu’on les ridiculise mais pas ces pleurnichards de Belges. Si l’on écoutait le « Gaston Kelman des Blondes », il nous annoncerait, peu ou prou, la même chose des Noirs et des Belges pour mieux stigmatiser le manque d’humour des blondes. En réalité, ni les Belges ni les blondes ni les Noirs ni personne n’aiment entendre des blagues essentialisantes qui les enferment dans une tare congénitale au motif que celles-ci participent d’un lieu commun tourné à la rigolade. En revanche, celui qui, parmi eux, les intègre dans son espace mental et les reconnaît comme ayant un pouvoir comique conforme à son esprit, aura toujours tendance à prétendre que les autres groupes les acceptent sauf le sien.

Les Noirs devraient rire d’une raillerie aussi débile que « qu’est-ce qui est plus bête qu’un Noir ? Deux Noirs ! » ? Et au nom de quoi ? Après tout, le fait d’en rire ne serait-il pas justement le signe de la bêtise contenue dans l’énoncé ?

En France, on n’a pas réduit les blondes et les Belges à l’état de cheval de trait au motif qu’ils étaient bêtes, sales, diaboliques, pêcheurs, sanguinaires, bestiaux ou simiesques. On ne les a pas non plus exposés de leur vivant derrière un enclos pour, à leur décès et au mépris de la morale et de la loi, découper leur cerveau et leur sexe pour les exposer dans un bocal avant de disséquer leur corps, le tout accompagné de ce lumineux commentaire : Ils ont surtout « une manière de faire saillir [leurs] lèvres tout à fait pareille à celle que nous avons observée dans l’orang-outan » [7] Tout cela fut une réalité pour le Noir. Et c’est un Noir qui ose, aujourd’hui en 2006, venir expliquer à la France que le Noir n’accepte pas, de la même manière que d’autres, des blagues qui le renvoient à son inintelligence organique.

L’impact sur les consciences n’est par conséquent pas le même pour les trois parties en présence et la comparaison n’inspire que le dégoût et le mépris. Gaston Kelman oserait-il faire des blagues sur le « nez crochu » des Juifs en défendant son propos par le fait « qu’on n’en fait bien sur les yeux bridés des Asiatiques mais qu’on a pas le droit d’en faire sur le nez des Juifs » ? Sur les consciences françaises, les yeux bridés des Asiatiques n’ont aucune occurrence symbolique – même lointaine – qui soit équivalente au mythe du nez crochu. L’évoquer, c’est mettre à l’index ceux que cette propagande visa en les renvoyant à leur statut de parasites de la société qu’il faut apprendre à différencier des vrais Français.

Ces scrupules, Kelman ne les a pas vis-à-vis des Noirs car, au fond, leur dignité lui est odieuse. Il se fait un malin plaisir à la piétiner, à la rabaisser dès qu’il le peut, en usant de sophismes et en donnant l’impression qu’il est dans une posture courageuse et transgressive. Non, ce qui serait transgressif ce serait justement d’opter pour l’autre proposition afin de se mettre toute la France à dos. Et là, il pourra faire son fanfaron.

Mais Gaston Kelman ne comprend pas que l’humour n’est que l’alibi décoratif pour, très souvent, recycler les préjugés raciaux enfouis dans l’inconscient des Français depuis des siècles. Lorsque les joueurs noirs du championnat italien de football touchent un ballon, c’est sous les huées et les imitations de cris de singe, pas sous ceux de gloussements de poule ou de croassements de corbeau. Pourquoi les singes plus que les hippopotames ou les brebis ? Il suffit de se référer à l’histoire…

Étrange que quelqu’un qui prétend avoir lu Fanon [8]soit incapable de comprendre cela alors que la fonction de l’imposition culturelle recoupe parfaitement cette question. Mais au fait, Kelman a retenu quoi de Fanon à part « il n’y a pas de Blanc, il n’y a pas de Noir » ?

Minute 48

Gaston Kelman assène, péremptoire, « Banania c’était à une époque assez reculée de l’histoire. Franchement aujourd’hui ce n’est pas une histoire que le Noir n’était pas un homme au début du siècle. [ intervention de Michelle Maillet qui répète par deux fois : « il n’empêche que j’en ai souffert », mais Kelman s’en moque. Monsieur détient sa petite vérité bidouillée à grands coups d’astuces rhétoriques ronflantes. Il ne lâchera donc rien et poursuit ] . L’une des premières valorisations du Noir c’était le tirailleur sénégalais (sic). C’était un signe de reconnaissance de la bravoure, de la beauté de ce mec ( sic ), de sa présence, de son courage à la guerre. Après on a dévoyé l’image du tirailleur sénégalais ». Acquiescement de Daniel Picouly qui lance : il a raison !

Puis Daniel Picouly tente de démontrer l’absurdité des agissements de l’association qui a demandé le retrait du slogan Y’a bon Banania – c’est la même qui attaqua Olivier Pétré-Grenouilleau.

On se demande, tout au long de l’émission, qu’est-ce que cet homme a à beugler de la sorte, d’autant qu’en face de lui il n’a quasiment qu’un seul contradicteur. Pour se convaincre d’avoir raison ? Daniel Picouly pense sans doute qu’en hurlant, sa voix va couvrir celle des autres et ainsi entériner son triomphe : « Faire disparaître Banania c’est faire disparaître la critique de Banania (…) Dès que ça a disparu on ne parle plus, donc on ne réagit pas et ça c’est grave »

Gaston Kelman se prépare à prendre le relais et fonce tête baissée. Il s’indigne que cette association antillo-guyano-réunionnaise se soit occupée du cas Banania qui concerne les Africains : « ça aussi ça m’agace ». « Pourquoi », demande l’audience en chœur ? « Parce qu’il n’y a pas de Noirs ( …) la création du Noir est une création de Blanc (…) on me demandait qu’est ce que tu penses de l’Afrique j’ai dit elle n’existe pas ».

Quel est le rapport entre ses billevesées et le sujet débattu ? Aucun. Mais comme il tente de placer les deux trois réflexions au rabais qu’il a laborieusement compilé dans son crâne, il faut bien que cela serve jour. Le « Collectif Dom » ne se définit pas comme étant un « collectif noir » – c’est vraiment mal le connaître – et quand bien même il se déterminerait ainsi, qu’est-ce que la question de l’existence ou non des Noirs vient faire dans ce déni du droit de porter plainte contre une société qui véhicule une telle image ?

Devant les inepties de l’imbécile heureux bourguignon, Daniel Picouly crachouille, pour la 1001ème fois, « il a raison ». Moue consternée de Michelle Maillet.

Oui, le Noir n’existe pas mais « l’une des premières valorisations du Noir c’était le tirailleur sénégalais », dixit le même Gaston Kelman. Et personne pour clouer le bec de ce pathétique sophiste qui se contredit sans cesse ? Élisabeth Tchoungui passe son temps à rire. D’un autre côté, il n’y a que cela qu’elle puisse faire, non ? Claudy Siar bougonne. Magloire est muet – dans le montage, du moins – car lorsque Gaston Kelman lui demande s’il sait ce qu’est l’Afrique, il n’a pas même le temps d’esquisser un début de réponse que le « lider minimo bourguignon » l’a déjà rembarré avec mépris. Quant à Ardisson, il veille avec un soin tout particulier à ce que le combustible ne manque pas à cette « machine à débiter des conneries » qu’est devenu le Bourguignon. Il s’arrête sur chacun de ses sophismes, comme si cela en valait la peine : « le Noir est une création du Blanc » !

Le tirailleur sénégalais n’était que de la chair à canon pour la France. Un « signe de reconnaissance de la beauté du Noir » ? En 1915 ? Lors de la création du slogan Y’a bon Banania, on évoquait la « beauté du Noir » ? Du mâle noir ? Beauté ? En France ? À l’époque où les zoos humains se vulgarisaient dans toute l’Europe, brassant des millions de spectateurs hilares, moqueurs et méprisants, fascinés par la présumée sauvagerie de l’Africain supposé à la fois polygame, cannibale, fieffé fornicateur, fétichiste et arriéré ? Au temps où les spectateurs qui allaient voir les indigènes au zoo leur jetaient de la nourriture au-dessus du grillage, comme ils le feraient pour des chimpanzés ?

Soumis, obéissant au doigt et à l’œil, le tirailleur sénégalais prend certes une nouvelle image durant la période 1910-1915. Il devient amical et domestiqué mais, tel un berger allemand que l’on a dressé pendant des mois, on vante d’abord sa force et sa loyauté puisqu’on les instrumente au service de la France. Quand on lui dit de mordre, il mort. Quand on lui dit que l’Allemand est le nouveau nègre, le tirailleur y croit et se met à l’exécrer de toute ses forces. C’est cette image d’allégeance totale et exclusive que l’on vend aux Français. L’image d’un nègre dont le dressage est arrivé à terme après un long enseignement. Cette soudaine sympathie est tout simplement utilitariste.

C’est en 1910 que tout commence. Dans son fameux livre de propagande intitulé La Force noire, le lieutenant-colonel Mangin dévoile son fantasme : transformer l’Afrique française en une énorme réserve militaire où la France pourrait puiser ses soldats.

Pour Mangin, si les Français jetaient un oeil au-delà du Sahara, ils trouveraient « sur les bords du Sénégal, du Niger, du Tchad, du Congo, de nouvelles terres fertiles, de nouvelles populations soumises à la France ; notre Afrique noire compte vingt millions d’habitants, quatre fois plus que l’ Algérie. Elle nous donne déjà 20.000 soldats incomparables, qui ont fait leurs preuves sous notre drapeau, non seulement sur leur propre sol, mais à Madagascar et au Maroc. N’est-il pas possible d’utiliser ces nouvelles ressources ? (…) Le résultat serait la création d’une armée, dont le camp serait en Algérie et le réservoir en Afrique occidentale (…) il nous faut examiner rapidement quels exemples nous présente l’histoire de l’utilisation militaire de la race nègre, en particulier en Afrique du Nord » [9]

Par la suite, tout le Livre II, III etc. ne sont qu’un panégyrique à l’égard des armées nègres, avec la seule volonté de démontrer que les Noirs ne sont réductibles qu’à leur talent de guerrier et leur dévouement à ceux qui les commandent : L’islam et la force noire, La garde noire contre l’Empire Grec, La Garde noire des Oméiades d’Espagne, Une capitale noire au Maroc, L’armée africaine de la Guadeloupe etc.

Mangin vante ouvertement l’utilisation des troupes sénégalaises dans la « pacification » – on sait ce que cela signifie : imposer la terreur au nom de la France – de pays comme le Congo et Côte d’Ivoire. Pour lui « le noir naît soldat plus encore que guerrier, car son instruction militaire est facile et il a le sentiment de la discipline. Cette facilité d’instruction, qui surprend au premier contact, vient de ce que les réflexes sont très faciles à dresser chez les primitifs, que n’a encore déformés aucun effort. Le noir n’a jamais peiné (…) L’homme de recrue s’instruit par imitation, par suggestion ; il a peu réfléchi avant d’entrer au service et on atteint chez lui l’inconscient presque sans passer par le conscient » [10]

Pour Pascal Blanchard et Éric Deroo, deux spécialistes de l’histoire coloniale française, il ne fait aucun doute que « dès 1915, avec le célèbre Y’a bon (…) le stéréotype du bon noir va évoluer vers une humanisation de son image. Se construisent alors des représentations d’un personnage naïf, gentil, un peu simplet et gauche, mais généreux et puissant. L’image initiale de la barbarie est domestiquée, c’est la naissance du grand enfant. C’est aussi la preuve de la capacité assimilatrice de la République qui, par son action, conduit les peuples sauvages à la lumière, à la civilisation. (…)

Aux lendemains du conflit, la réclame va utiliser les clichés les plus éculés sur le Noir, en s’appuyant sur l’imagerie développée par Banania pour vendre : nez épaté, lèvres monstrueuses et dents gigantesques de l’anthropophage. Celui-ci doit aussi être drôle, sympathique, ridicule et gentil. La couleur a également fasciné les créateurs. La chéchia rouge, emblème de l’appartenance au corps d’élite des Tirailleurs Sénégalais, occupe la moitié du visage » [11]

Kelman plein de gratitude pour les gentils Français qui ont donné la première image positive du Noir, est-il le même homme qui raillait le « black & proud » américain qui, selon lui, démontrait le complexe d’infériorité du Noir face au Blanc ? Et comment traduit-il donc son enthousiasme qui naît d’une prétendue image positive du tirailleur ?

Présenter le Noir comme un grand enfant, pas très intelligent mais compétent pour effectuer la sale besogne, relève d’une image positive ? Les tirailleurs sénégalais sont les vigiles de supermarché d’hier : l’image du Noir viril, sportif, impressionnant par sa carrure naturelle et la crainte qu’il suscite chez le Français moyen : pas touche à mes friandises sinon je lâche mes nègres qui ne rêvent que de bouffer du Blanc. Quand il sourit il rassure et on le prend pour un benêt. Quand il fronce les sourcils on se demande à quelle sauce il va nous manger.

Conclusion : l’Afrique n’existe pas, le Noir n’existe pas. Quel est par conséquent l’intérêt de l’émission sur un sujet qui n’existe pas ?

En ce jour, nous avons vu un duo d’écrivains, arrogants, surexcités, hargneux, élevant la voix à la moindre – et très rare – contradiction. Espérons que le dîner, contrairement à l’émission, était au moins bon…

© Kahm Piankhy – Texte libre d’utilisation, conditionné par la citation de la source – avril 2006

Source : www.Piankhy.com

Note :

1. La couverture de son livre « Paulette et Roger » est très significative. (http://www.qui-se-soucie-de-moi.fr\…) _ Daniel Picouly était présenté – et se présentait lui-même – sur les plateaux de télévision, au tout début de sa carrière, comme étant né d’un « papa noir et d’une maman blanche ». En France, on a tendance à appeler « noir », tout ce qui est légèrement cuivré de peau, originaire des îles et racialement non-catégorisable. Ce qui est sûr, c’est que Roger Picouly n’est certainement pas un Noir ( mélanoderme ). Reste à savoir pourquoi Daniel Picouly vend le couple que formaient ses parents comme étant un couple mixte blanc/noir. Sûrement sait-il que, sur le plan du pathos, il est préférable de négrifier un parent lorsque l’on veut l’engager dans une dimension affective qui va toucher le Français moyen en accentuant volontairement le contraste noir/blanc. Plus tard, une évolution se fit remarquer puisqu’on nous le présente désormais comme un quarteron. CQFD

2. Ceux qui ne le sont que lorsque cela les arrange.

3. Interview publiée dans Amina de janvier 2006 http://www.arts.uwa.edu.au/aflit/AM…

4. Ce n’est pas non plus que de la faute des écrivains. Il y a une sélection, dont la gestion incombent aux seuls éditeurs, et elle a pour effet de tamiser et filtrer au maximum les plus aptes à vendre, tout simplement.

5. Existe-t-il une connotation raciale dans la traite atlantique ? (http://www.monde-diplomatique.fr/19…) En d’autres termes, est-ce que les Noirs sont une simple catégorie de l’humanité, corvéables à souhait indistinctement de leur couleur de peau ? Rappelons-nous que tout au long du Moyen-âge, les Empires Germains ou les Républiques maritimes d’Italie pratiquaient allégrement la traite de païens slaves qu’ils considéraient comme des barbares. On les vendaient comme des mules sur des marchés. La traite étant un « transport de marchandises », le terme convient parfaitement ici. Saint Bernard de Clairvaux et le pape Eugène III cautionnaient les croisades contre les Slaves. A l’est de l’Elbe, les Germains passent nombre de ces derniers par le sabre au nom du Christ et se jurent de détruire le paganisme présent en Europe orientale. Selon Saint Bernard, les Slaves doivent être « détruits ou convertis »

C’est seulement après la conversion que la traite des païens cessent dans ses grandes lignes. Dorénavant, ils embrassent en grande majorité la même religion que leurs anciens oppresseurs. Lorsque les Européens se tournent vers l’Afrique pour rechercher leur main-d’œuvre, ils trouvent des païens noirs et une minorité de musulmans. Les Africains déportés vers les Amériques sont tous convertis au christianisme une fois arrivés sur place. Mais sont-ils affranchis au motif de leur conversion, comme ce fut le cas pour les Slaves ou les Bulgares ? Voilà où se situe la différence : les Noirs sont considérés comme une catégorie inférieure de l’humanité et sont un contenant avant d’être un contenu. Même convertis au christianisme, ils demeurent des sous-hommes aux yeux du monde.

Les Chrétiens d’Europe, faisant pression pour que les croisades menées contre les « Orientaux » permettent à ces derniers d’accéder à la Chrétienté, et donc à l’impossibilité morale de mettre des frères de religion en servitude, sont les mêmes qui trouvaient cela normal chez leurs mêmes frères de religion des Caraïbes. La question raciale est au centre de la question de l’esclavage et de la traite atlantique. Sans le racisme, ces Noirs auraient dû être affranchis, au même titre que les Slaves.

6. Daniel Picouly aurait pu s’en prendre à Gaston Kelman puisque celui-ci écrit dans son premier livre : « La traite, véritable crime et génocide contre l’Afrique noire ». Or le débat porte justement sur la qualification du crime. Qu’est-ce donc, un simple commerce ou un crime prenant comme cible une race supposée ou réelle ?

7. Ces termes sont ceux du rapport de Georges Cuvier qui kidnappa littéralement le cadavre de la « Vénus Hottentote » pour en faire une étude détaillée. De son vivant, Cuvier n’avait de cesse de harceler la pauvre Saartje Baartman pour qu’elle lui dévoile son sexe dont il avait fait une obsession. Saarje refusa tout net. L’Hottentote meurt alcoolique et déprimée en 1816 après avoir été exposée comme une bête de foire et vendue à plusieurs propriétaires qui exploitaient le filon « sauvage d‘Afrique ». Ses organes génitaux furent moulés puis mis en bocal. ( Georges Cuvier, « Extrait d’observations faites sur le Cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus Hottentote, » Mémoires du muséum d’histoire naturelle )

8. Kelman aurait dû reprocher à l’auteur de Peau noire, masques blancs de ne pas s’esclaffer à chaque fois qu’une tarte à la crème venait s’aplatir sur le faciès d’un Noir aux gros yeux globuleux et tremblant face au Blanc dont il redoute la sainte colère. Fanon qui redoutait l’arrivée du « Négro banania » à l’écran à chacun des films américains qu’il regardait, était-il nul lui aussi ?

9. Lieutenant-colonel Mangin « La force noire », p. 100-101

10. Op. cit. p. 236

11. Revue Quasimodo n°6 « Du Sauvage au Bon Noir » http://www.revue-quasimodo.org/PDFs…

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