Les livres publiés en Afrique circulent lentement. Il marrive de les accumuler. Puis vient le moment où il faut trouver le courage de les lire, de sy plonger pour en faire une idée, sa propre idée
Le dernier que je viens de terminer est un essai de livoirien Jean-Marie KOUAKOU, La chose littéraire. Objets/Objet, publié chez Educi, à Abidjan, en 2005.
Voici un livre qui na pas lambition de sadresser au grand nombre, mais plutôt au cercle très restreint des chercheurs en littérature. Son objet ? La théorie littéraire du récit, celle qui sinspire du structuralisme de Roland Barthes et du formalisme linguistique de Ferdinand de Saussure, complétée, selon lauteur, par une ouverture aux travaux des psychanalystes Freud et Lacan ! Son champ détudes ? La littérature française du 20e siècle, représenté ici par les écrivains du Nouveau Roman (Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, etc.) et leur « ancêtre » commun, Marcel Proust ! La thèse de lauteur ? «
les objets littéraires restent vagues et ambigus et leur détermination pose problème. Le problème essentiel tient à limpossibilité denvisager une fiction entièrement détachée de tout rapport au monde sensible lequel est simplement ainsi que cela se découvre au cinéma où une chaise est une chaise et rien dautre
» Allusion sans doute au fameux « théorème » des linguistes anglo-saxons : a rose is a rose is a rose is a rose
Composé de trois parties, louvrage de luniversitaire ivoirien tente donc de cerner de près ce que cest que « lobjet littéraire », à ne pas confondre avec la littérature ( ?), et den fournir un descriptif circonstancié à travers un choix douvrages et dauteurs appropriés. Je citerai les propos de lauteur lui-même pour résumer lessentiel du travail. Dans la première partie, il tente de « déterminer une sémantique de lobjet littéraire non pas des objets au sens des choses mais ce qui constitue une grandeur littéraire. » Ensuite, puisque le récit est aussi sémantique et syntaxe, il tente de poser une et danalyser les « conditions de structure et de forme : cest-à-dire une espèce de grammaire ». Il ne restera plus alors quà déterminer, finalement, « des conditions de saisie, de perception, dappropriation, bref, de prise et de rendu de ces objets au sens référentiel du terme. » Et cest ici que lauteur convoque psychanalyse et psychologie « pour voir comment sujet et objet se conjoignent, se disjoignent ou se dissolvent lun dans lautre. »
Le défaut majeur de cet ouvrage au demeurant intéressant, cest son jargon, comme sil était interdit à un universitaire de faire de la vulgarisation et de gagner les lecteurs à la cause quil défend. La théorie structuraliste, née en dans les années 1970 en France, est aujourdhui délaissée ou contournée par beaucoup denseignants, il ny a donc aucune originalité dans ce livre, dautant plus que la théorie ne vient même pas éclairer des auteurs nouveaux (français ou francophones), mais des classiques auxquels on a consacré des milliers de thèses à travers le monde ! Quant à lamalgame entre Freud, Lacan et les structuralistes, on ne comprend pas bien ce qui les relie dans le cas dune telle étude, car autant Lacan put être formaliste dans lexpression de sa pensée, autant Freud lecteur de littérature a toujours donné la priorité au symbolique et à la métaphore filée, notamment dans son magnifique livre sur lhomme Moïse et la naissance du monothéisme.
Bref, sans tomber dans un débat de spécialistes, il est clair que Jean-Marie Kouakou sest essayé à un « bricolage théorique » qui aurait pu être intéressant sil eût pris la peine de clarifier davantage les présupposés de sa démarche et de lappliquer à des textes nouveaux et contemporains, seule condition aussi de vérifier les limites ou lintemporalité de la théorie.