Lécrivain congolais Désiré Bolya Baenga est mort à Paris, mardi, à lâge de 53 ans. Natif de Kinshasa, ancien élève de Sciences-Po Paris, il avait voué sa vie à la réflexion et lécriture. Il avait publié de nombreux livres, parmi lesquels Afrique, le maillon faible et La profanation des vagins, un essai et un roman parus respectivement en 2003 et 2005 aux éditions Le serpent à plumes. Fin connaisseur du continent africain et du monde, il était un collaborateur régulier dAfrik.com.
« Javais oublié de vous raconter ! » Nous étions habitués, au siège dAfrik.com, à ses faux départs. Intarissable sur la politique et lhistoire de lAfrique, de la France et du monde, Bolya, après nous avoir dit au revoir, revenait toujours deux ou trois fois sur ses pas pour nous narrer une dernière histoire. Aussi, lorsque son frère Olivier nous a appris quil était décédé, avons-nous pensé que Bolya, lhomme au chapeau et au verbe haut, réapparaîtrait dans un éclat de rire, très amusé de leffet produit sur nos visages par cette mauvaise plaisanterie. Hélas, il sest bel et bien éteint, mardi, foudroyé par une crise cardiaque dans une rue de Paris. Les secouristes nont pas pu le ramener à la vie.
Désiré Bolya Baenga avait vu le jour à Léopoldville (actuelle Kinshasa) le 19 juin 1957, trois ans avant lindépendance de la colonie belge du Congo. Son père, Paul, lun des premiers médecins autochtones, fervent anticolonialiste et proche soutien de Patrice Lumumba, a veillé à ce quil reçoive une éducation de qualité. Il a été à lécole primaire en Belgique, puis de retour à Kinshasa il a suivi lenseignement des Pères de la Compagnie de Jésus au collège Boboto, avant de terminer ses études secondaires au collège Saint Raphaël.
Contre la violence et linjustice
Le 18 Décembre 1977, Bolya débarque à Paris. Une ville dont il tombe éperdument amoureux. Brillant sujet, curieux et perspicace, il est admis à Sciences Po. Sur les bancs du prestigieux Institut détudes politiques, il consolide sa culture générale, aiguise sa plume et affine son art du discours. Il se frotte à lélite française dont il découvre les murs et le niveau dexigence sil avait la dent dure envers certains de ses camarades de classe, Bolya saluait souvent lintelligence, par exemple, dun Pierre Moscovici. A la fin des années 70 et au début des années 80, la capitale française demeure un carrefour où se retrouve la fine fleur de lintelligentsia africaine en formation. Avec son ami Elikia MBoloko, devenu aujourdhui un historien de renom, il participe à maintes et maintes joutes intellectuelles. Des débats où il croise nombre de ceux qui deviendront, quelques années plus tard, les cadres et dirigeants du continent africain.
Les espoirs quil avait nourris pour lAfrique, dans ses jeunes années, se sont heurtés au cortège dinfamies, de violences et de guerres dont elle a été le théâtre au cours des décennies 80, 90 et 2000. Lorsquil sexprimait ces derniers temps sur lavenir du continent, il prenait volontiers la posture de lafro-pessimiste. Mais il demeurait, par ailleurs, prompt à dénoncer toute forme dinjustice sy déroulant. Journaliste, consultant politique, puis écrivain à plein temps depuis 1989, il nhésitait pas à manier loutrance, à bousculer ses lecteurs et interlocuteurs, pour mieux les pousser à la réflexion. Cannibale, (Ed. Pierre-Marcel Favre, 1986), Lafrique en kimono : repenser le développement, (Ed. Nouvelles du Sud, 1991), La polyandre, (Le Serpent à Plumes, 1998), Afrique, le maillon faible, (Le Serpent à Plumes, 2002), La profanation des vagins, (Le Serpent à Plumes, 2005) Son uvre pourfend marchands darmes, pilleurs, corrupteurs, corrompus, pseudo-humanitaires, violeurs et autres voleurs dinnocence.
Sans doute la cruauté du monde lui pesait-elle. Il sétait peu à peu réfugié dans lunivers liquide des paradis artificiels. Mais il conservait un regard lucide sur les événements et la singulière trajectoire de sa propre vie. Libre penseur et amoureux des lettres, le désir et le plaisir décrire ne lavaient jamais quitté. Il travaillait à un nouveau roman, quil rêvait doffrir, une fois achevé, à sa fille, Anne Raphaëlle, sa plus grande fierté.
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