
M.F, également romancière en herbe, signe ses textes Dream Girl. A la lecture de ses nouvelles, on sent quelle connaît parfaitement ses classiques de littérature érotique (je vous ferai lire à la fin un extrait dune nouvelle quelle ma autorisé à citer). Certes, cela fait deux ans que jai mis Hermina de S.T. au programme du département de Lettres Modernes, mais la rencontre de M.F. avec luvre de lauteur remonte à plus loin, au tout premier passage désastreux du romancier à Lomé, dans le cadre dune invitation du Centre Culturel Français. S.T. sy était fait traiter décrivain aliéné, amoral, sans public, tout cela par des collègues qui refusent de lire les uvres pour ce quelles sont mais collent à son auteur des étiquettes qui relèvent plus du fantasme que de létude attentive et maniaque des textes. En linvitant une seconde fois, javais à cur de corriger ces travers qui magacent au plus haut point, surtout que juste avant son arrivée, javais entendu un collègue reprocher à un étudiant qui faisait une maîtrise sur un roman de lauteur davoir osé lire « ce texte » que lui, « père de famille »(sic), navait pas pu lire jusquà la fin. Il y a des jours où je ne cache pas mon impuissance devant la bêtise universitaire !
Dailleurs, à la présentation de luvre de Sami au CCF, cette fois-ci, la plupart des profs du département ont boudé la séance. Mais la salle était pleine, car tous mes étudiants y étaient, avec des listes de questions qui allaient surprendre lauteur lui-même. La première, après le speech, à déclencher la salve, M.F., évidemment ! Je passe sous silence léchange polie entre lauteur et létudiante. Mais cest plus tard, à la sortie, pendant que nous rigolions en petit groupe, Sami, Florent Coua-Zotti et quelques amies, que M.F. est revenue à la charge. Dabord, ce fut à moi quelle posa la question. Jai refusé dy répondre, lui conseillant de la poser directement à lintéressé. Ce quelle fit. « Monsieur Tchak, est-ce que vous nêtes pas un écrivain frustré, sexuellement, qui tente de compenser en mettant autant de sexe au centre de son uvre ? » Personne na ri, même pas Sami, qui sest alors lancé dans un deuxième échange avec son interlocutrice. Celle-ci soutenait mordicus, que ce nétait pas possible autrement. Luvre de Sami appartiendrait à un genre ou courant (peu importe) qui reflèterait dabord une vérité : son auteur, qui rêve de vivre librement sa sexualité comme il lentend, se voit empêché par la société dy arriver, alors, il compense par lécrit ce quil est incapable de faire dans la vie. S.T. ferait de la littérasexe, un genre presque thérapeutique.
Je buvais du petit lait. Au fond, je connaissais par cur les limites de la théorie. La même grille de lecture avait été autrefois appliquée à Sade, que Sami a lu, que M.F. aussi a peut-être lu. Mais à la différence de Sade, S.T. a une vie bien rangée. Je suis même certain que si je lenfermais dans une boîte de strip-tease à Douala ou Paris, loin des regards de son épouse, il se contenterait de vivre la soirée en dilettante, juste pour glaner des impressions qui serviront les détails de la construction dun futur roman. M.F. réfléchit en jeune critique et en jeune romancière incapable de faire le tri entre la vie rêvée et le travail de limagination littéraire. Elle me faisait penser en cela, à mes étudiants de luniversité de Kara.
Quelques mois auparavant, à luniversité de Kara dans le nord du Togo, javais présenté le premier roman de lécrivain Gerry Taama, Parcours de combattants (LHarmattan, 2009). Une des questions à lauteur avait été celle-ci : « Monsieur Taama, nest-ce pas parce que les militaires sont bêtes et tarés au Togo que vous avez quitté larmée pour écrire un roman afin de nous prouver que les militaires aussi ont quelque chose dans la tête ? » Je caricature à peine. Moralité de cette affaire : dans tous les cas, il est difficile à la moyenne des lecteurs de nos sociétés faiblement litéralisées (pour parler comme Bourdieu) de faire la différence entre le travail intellectuel de lécrivain et les contingences de sa vie dans le grand monde.
Allez, je conclus ce billet de Noël par un court extrait de la nouvelle de M.F., alias Dream Girl, en faisant un clin dil à Gerry Taama, lequel projette de créer sa maison dédition à Lomé bientôt. Pourquoi, cher Gerry ne pas retravailler avec elle le texte de notre nouvelle recrue et envisager sa publication dans une collection nommée « littérasexe » ou « Erotika », peu importe ?
La sirène des bas-fonds
Dream Girl
« Je nétais pas encore endormie lorsque jentendis Joseph ouvrir la porte. Il fredonnait un air à la mode. Tout indiquait quil revenait dune soirée bien arrosée. Pourvu quil nait encore rencontré Inconnu en arrivant. Je fis semblant de dormir. Il me réveilla en me secouant. Il voulait faire lamour et je navais pas le droit de résister. Il mempoigna par les cheveux, fit tomber mon pagne et me poussa violement sur le lit. « Ma pétasse préférée, fait moi plaisir, je veux te sentir, depuis le début de cette semaine tu es distante, que tarrive-t-il ? ». Il échoua sur moi comme un vieux sac de charbon parachuté depuis le toit dune voiture. Javais mal, son haleine me dérangeait. Soudain, je la repoussai et il sécroula sur le sol. Je bondis sur lui et mit son membre dans la bouche. Il hurla, suppliant quil ne voulait pas de cela. Son point sensible, je connaissais son point sensible. Je frottais, tirais, il geignait, de souffrance ou de plaisir, je ne savais exactement. Tout son corps arc-bouté tentait déchapper à ma manuvre. « Pitié », criait-il. A cet instant je sus que jaurais pu le tuer, lui faire emporter ses méchancetés au paradis. Javais tout loisir à lobserver passer dun état à lautre, tantôt minable dans son plaisir exacerbé divrogne, tantôt pleurant tant ses nerfs étaient à vif. Quand je labandonnai enfin, il resta replié au pied du lit à couiner tel un chaton sevré de lait maternel. Je courus prendre une douche comme pour me débarrasser de la souillure dont il mavait recouverte.
Le soir, mon inconnu reviendrait. Il fallait que je sois belle pour lui. Aujourdhui, il nallait pas me surprendre. Une fois encore, javais oublié de lui demander son nom. Son nom, mon inconnu. Joseph ne se réveilla que le soir, sen alla tout penaud. La petite robe noire et les sous vêtements en dentelle rouge néchapperont plus à leur sort. Je les enfilai avec plaisir. Cest le troisième soir avec Inconnu et il voudrait certainement décalotter sa marchandise. Cest pour ça quil payait. Alors, quoi de plus normal. Cette fois-ci, jétais prête. Prête à le séduire. Cétait en tout cas leffet escompté. »