De la « littérasexe » ou comment échapper à ses livres!

pict0666Lors de son récent passage à Lomé, le romancier Sami Tchak fut interpellé à deux reprises par une de mes étudiantes, à propos de la présence constante de la sexualité dans son oeuvre. La scène, la première fois, m’avait fait sourire. mais plus tard, elle est revenue sur le sujet, en déclarant de façon radicale que selon elle, S.T. par ses romans appartiendrait à un courant ou genre qu’elle a décidé de nommer « la littérasexe ». Ambiance!

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pict0666Etudiante en Lettres Modernes, journaliste sur l’une des radions privées les plus branchées de la capitale togolaise, M.F. est l’une de mes meilleures étudiantes. Je le dis, sans préjuger de la qualité des autres membres de sa corporation, la preuve, chaque fois qu’il m’est arrivé de dénicher des perles rares et énergiques sur le campus, j’ai toujours pris soin de les motiver à aller jusqu’aux limites de leurs capacités. Ainsi ai-je créé sur la radio Nana FM l’émission « le Jazzclub » avec Hortense., une de mes étudiantes également, et un magazine de la lecture, « Librairie Francophone », pilotée par la même Hortense, avec Judith, une autre de ces filles dont je rêve l’avenir brillant. Passons !
M.F, également romancière en herbe, signe ses textes Dream Girl. A la lecture de ses nouvelles, on sent qu’elle connaît parfaitement ses classiques de littérature érotique (je vous ferai lire à la fin un extrait d’une nouvelle qu’elle m’a autorisé à citer). Certes, cela fait deux ans que j’ai mis Hermina de S.T. au programme du département de Lettres Modernes, mais la rencontre de M.F. avec l’œuvre de l’auteur remonte à plus loin, au tout premier passage désastreux du romancier à Lomé, dans le cadre d’une invitation du Centre Culturel Français. S.T. s’y était fait traiter d’écrivain aliéné, amoral, sans public, tout cela par des collègues qui refusent de lire les œuvres pour ce qu’elles sont mais collent à son auteur des étiquettes qui relèvent plus du fantasme que de l’étude attentive et maniaque des textes. En l’invitant une seconde fois, j’avais à cœur de corriger ces travers qui m’agacent au plus haut point, surtout que juste avant son arrivée, j’avais entendu un collègue reprocher à un étudiant qui faisait une maîtrise sur un roman de l’auteur d’avoir osé lire « ce texte » que lui, « père de famille »(sic), n’avait pas pu lire jusqu’à la fin. Il y a des jours où je ne cache pas mon impuissance devant la bêtise universitaire !
D’ailleurs, à la présentation de l’œuvre de Sami au CCF, cette fois-ci, la plupart des profs du département ont boudé la séance. Mais la salle était pleine, car tous mes étudiants y étaient, avec des listes de questions qui allaient surprendre l’auteur lui-même. La première, après le speech, à déclencher la salve, M.F., évidemment ! Je passe sous silence l’échange polie entre l’auteur et l’étudiante. Mais c’est plus tard, à la sortie, pendant que nous rigolions en petit groupe, Sami, Florent Coua-Zotti et quelques amies, que M.F. est revenue à la charge. D’abord, ce fut à moi qu’elle posa la question. J’ai refusé d’y répondre, lui conseillant de la poser directement à l’intéressé. Ce qu’elle fit. « Monsieur Tchak, est-ce que vous n’êtes pas un écrivain frustré, sexuellement, qui tente de compenser en mettant autant de sexe au centre de son œuvre ? » Personne n’a ri, même pas Sami, qui s’est alors lancé dans un deuxième échange avec son interlocutrice. Celle-ci soutenait mordicus, que ce n’était pas possible autrement. L’œuvre de Sami appartiendrait à un genre ou courant (peu importe) qui reflèterait d’abord une vérité : son auteur, qui rêve de vivre librement sa sexualité comme il l’entend, se voit empêché par la société d’y arriver, alors, il compense par l’écrit ce qu’il est incapable de faire dans la vie. S.T. ferait de la littérasexe, un genre presque thérapeutique.
Je buvais du petit lait. Au fond, je connaissais par cœur les limites de la théorie. La même grille de lecture avait été autrefois appliquée à Sade, que Sami a lu, que M.F. aussi a peut-être lu. Mais à la différence de Sade, S.T. a une vie bien rangée. Je suis même certain que si je l’enfermais dans une boîte de strip-tease à Douala ou Paris, loin des regards de son épouse, il se contenterait de vivre la soirée en dilettante, juste pour glaner des impressions qui serviront les détails de la construction d’un futur roman. M.F. réfléchit en jeune critique et en jeune romancière incapable de faire le tri entre la vie rêvée et le travail de l’imagination littéraire. Elle me faisait penser en cela, à mes étudiants de l’université de Kara.
Quelques mois auparavant, à l’université de Kara dans le nord du Togo, j’avais présenté le premier roman de l’écrivain Gerry Taama, Parcours de combattants (L’Harmattan, 2009). Une des questions à l’auteur avait été celle-ci : « Monsieur Taama, n’est-ce pas parce que les militaires sont bêtes et tarés au Togo que vous avez quitté l’armée pour écrire un roman afin de nous prouver que les militaires aussi ont quelque chose dans la tête ? » Je caricature à peine. Moralité de cette affaire : dans tous les cas, il est difficile à la moyenne des lecteurs de nos sociétés faiblement litéralisées (pour parler comme Bourdieu) de faire la différence entre le travail intellectuel de l’écrivain et les contingences de sa vie dans le grand monde.
Allez, je conclus ce billet de Noël par un court extrait de la nouvelle de M.F., alias Dream Girl, en faisant un clin d’œil à Gerry Taama, lequel projette de créer sa maison d’édition à Lomé bientôt. Pourquoi, cher Gerry ne pas retravailler avec elle le texte de notre nouvelle recrue et envisager sa publication dans une collection nommée « littérasexe » ou « Erotika », peu importe ?

La sirène des bas-fonds
Dream Girl
« Je n’étais pas encore endormie lorsque j’entendis Joseph ouvrir la porte. Il fredonnait un air à la mode. Tout indiquait qu’il revenait d’une soirée bien arrosée. Pourvu qu’il n’ait encore rencontré Inconnu en arrivant. Je fis semblant de dormir. Il me réveilla en me secouant. Il voulait faire l’amour et je n’avais pas le droit de résister. Il m’empoigna par les cheveux, fit tomber mon pagne et me poussa violement sur le lit. « Ma pétasse préférée, fait moi plaisir, je veux te sentir, depuis le début de cette semaine tu es distante, que t’arrive-t-il ? ». Il échoua sur moi comme un vieux sac de charbon parachuté depuis le toit d’une voiture. J’avais mal, son haleine me dérangeait. Soudain, je la repoussai et il s’écroula sur le sol. Je bondis sur lui et mit son membre dans la bouche. Il hurla, suppliant qu’il ne voulait pas de cela. Son point sensible, je connaissais son point sensible. Je frottais, tirais, il geignait, de souffrance ou de plaisir, je ne savais exactement. Tout son corps arc-bouté tentait d’échapper à ma manœuvre. « Pitié », criait-il. A cet instant je sus que j’aurais pu le tuer, lui faire emporter ses méchancetés au paradis. J’avais tout loisir à l’observer passer d’un état à l’autre, tantôt minable dans son plaisir exacerbé d’ivrogne, tantôt pleurant tant ses nerfs étaient à vif. Quand je l’abandonnai enfin, il resta replié au pied du lit à couiner tel un chaton sevré de lait maternel. Je courus prendre une douche comme pour me débarrasser de la souillure dont il m’avait recouverte.
Le soir, mon inconnu reviendrait. Il fallait que je sois belle pour lui. Aujourd’hui, il n’allait pas me surprendre. Une fois encore, j’avais oublié de lui demander son nom. Son nom, mon inconnu. Joseph ne se réveilla que le soir, s’en alla tout penaud. La petite robe noire et les sous vêtements en dentelle rouge n’échapperont plus à leur sort. Je les enfilai avec plaisir. C’est le troisième soir avec Inconnu et il voudrait certainement décalotter sa marchandise. C’est pour ça qu’il payait. Alors, quoi de plus normal. Cette fois-ci, j’étais prête. Prête à le séduire. C’était en tout cas l’effet escompté. »

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