
Or ce que nous avons découvert, lorsque jai enfin pu prendre connaissance du texte de cet ouvrage, apparemment après édition, est sidérant. Dès lintroduction, des pans entiers de loriginal ont été supprimés et plusieurs portraits réécrits en falsifiant complètement mes idées. Léditeur allemand sest octroyé le droit de dénaturer non seulement mon texte mais aussi liconographie et la bibliographie, où des sources dont jignore le contenu ont été rajoutées. Quant au style, il est carrément affligeant ! Alors que javais privilégié une certaine qualité décriture, ils ont usé dune rédaction infantile, souvent confuse et truffée de contrevérités et de réinterprétations grotesques, sans aucun respect de ma démarche scientifique. Bref, on a utilisé mon nom pour lancer une production suspecte, gravement préjudiciable à ma réputation dauteur et dhistorienne.
Des dates, des faits, des noms de gens ont été changés, des hypothèses et allégations farfelues sont venues effacer ce patient travail de synthèse historique basé sur de longues années de recherches qui mont coûté un important effort financier. Comme si on voulait décrédibiliser ma contribution. Quelques exemples. Concernant le portrait que je fais de la mère de Chaka, empereur des Zoulous au 19e siècle, tuée par son fils, la version allemande fait sauter plusieurs paragraphes décrivant le désarroi des populations spoliées de leurs terres par lexpansion hollando-britannique en Afrique du Sud, ainsi que la narration de lassassinat de Nandi, et les remplace par cette phrase : « Chaka na pas tué Nandi. Elle serait morte de la dysenterie. Au moment de sa mort, Chaka se trouvait, ce que prouvent les sources écrites, en compagnie dun Anglais, à la chasse aux éléphants ».
Autre exemple, mon texte sur Néfertiti, amputé de toute la partie historique sur lEgypte ancienne et presque entièrement réécrit pour laisser place à de ridicules descriptions de bas reliefs, du style : « Néfertiti, qui guide le cheval, offre ses lèvres à Akhenaton pour un baiser. Sur ces illustrations, la reine porte de longs vêtements légers ou transparents qui laissent apparaître son corps et son exceptionnelle beauté. La joie de vivre, la sensualité et lémotion qui parlent dans ces images laissent entrevoir, dun côté la réalité de la vie du temps à Amarna, et dun autre côté aussi honore et loue le dieu Aton pour sa création et sa grandeur sous les rayons desquels tout se trouve.»
Ou encore cette stupéfiante légende sous la photo dun tabouret (?) : « Siège posé sur une figurine Luba/Kongo Les chefs politiques africains avaient coutume dutiliser des esclaves pour sasseoir comme sur une chaise, ce qui rappelle la réception de la reine Zingha chez le gouverneur portugais dAngola ».
Voilà ce quils ont fait de mon livre, et cest ainsi dans la quasi totalité des portraits.
Je nimaginais pas quon puisse émasculer si grossièrement le contenu dun ouvrage, à linsu de son auteur, pour en travestir lesprit et la forme
Tout cela me dépasse complètement dautant que jai été maintenue totalement à lécart de cette opération. Pourtant en août 2006, javais pris soin dadresser une lettre recommandée à mon éditeur pour lui préciser que je tenais à faire vérifier la conformité de la traduction avec la version originale avant lédition du livre. Une précaution que javais dû prendre après avoir eu copie dun mail en anglais de léditeur allemand, annonçant à Sépia son intention de ne pas garder dans sa version mes portraits de résistantes à lesclavage, à savoir la Mulâtresse Solitude de Guadeloupe et lAméricaine Harriet Tubman, au motif que « ça nintéresserait pas le public allemand ». Il névoquait même pas la possibilité den aviser lauteur ! Bien entendu je my suis opposée en objectant que mon livre se voulait une contribution sur le passé des peuples noirs, et non un produit de consommation modifiable à lenvi selon les goûts ou les couleurs de tel ou tel public.
Puis fin octobre, ayant découvert mon nom sur un site allemand, je suis tombée sur un grand nombre dannonces dans la presse et chez des opérateurs de vente en ligne, faisant état de la parution de ce Königinnen Afrikas (avec une couverture différente) pour le 15 novembre. Quelques jours plus tard, en communication téléphonique avec lassistante de Sépia, je linformai avoir appris la parution imminente du livre sur Internet et que visiblement tout cela sétait fait sans moi.
Une semaine plus tard, le 13 novembre, soit deux jours avant la sortie présumée du livre, je recevais de Sépia une épreuve de la traduction. Je pus seulement constater que les deux chapitres menacés y figuraient finalement et découvris avec surprise une bonne dizaine dillustrations sans rapport avec mes textes. Jai pensé que Sépia avait dû les autoriser, puisque pendant toute la phase de traduction personne ne sétait soucié de mapprocher pour quoi que ce soit. Mais compte tenu des difficultés à entrer en communication avec mon éditeur, ma priorité était dabord de me faire une idée du texte avant de lui demander des explications.
Ne parlant pas lallemand et nayant pas les moyens de recourir à un traducteur professionnel, il ma fallu chercher quelquun pour méclairer sur ce contenu. Une jeune étudiante de mon entourage a commencé à sy atteler. Mais ce quelle trouvait était si différent de loriginal quelle craignait de se tromper, ne maîtrisant pas parfaitement cette langue. Entre temps, une dizaine de jours après que le manuscrit me soit parvenu, jai eu un appel dune autre assistante de Sépia me demandant si je lavais lu. Je lui ai dit quen si peu de temps il navait pas été possible de le faire traduire. Elle a voulu savoir si javais des remarques à formuler. Surprise, je lui ai répondu quà aucun moment on ne mavait posé cette question et quapparemment le livre semblait déjà être sur le marché. Elle ma alors demandé de faire une lettre disant que jétais daccord avec la traduction. Ce que jai refusé, arguant que je navais reçu aucun courrier sollicitant mon avis.
En janvier dernier, je pus enfin me procurer le livre grâce une relation en déplacement en Allemagne. Dailleurs à ce jour, Sépia ne ma toujours pas informée de sa sortie. Ce qui laisse supposer que si je navais pas eu linformation via Internet, je nen aurais rien su ! Jai alors fini par trouver une enseignante allemande bilingue qui a accepté de maider pour la traduction. Et là, ce fut le choc de découvrir que mon travail avait été tronqué.
Jai remis laffaire entre les mains dun avocat et nous avons entrepris une action en référé pour que soit suspendue la vente en Allemagne où daprès ce que jai su, le titre dont jignore le nombre dexemplaires, a attiré beaucoup de lecteurs. Je me suis donc retournée contre mon éditeur afin quil contraigne son partenaire à stopper la vente, puisque daprès le contrat nous liant pour Reines dAfrique, Sépia est « responsable du contrôle des cessions de droits et de la garantie du droit moral de lauteur ». De plus, le contrat – en anglais – quil a signé avec son partenaire allemand et dont jai eu copie après plusieurs réclamations-, stipule bien quaucune modification ne peut intervenir dans la traduction sans accord de lauteur.
Autre précision, cest encore par hasard que jai appris en avril 2005 lors dun Salon, par un Allemand oeuvrant dans lédition dans son pays, que Sépia avait vendu les droits de traduction de Reines dAfrique en Allemagne. Jai attendu longtemps den être informée par mon éditeur. Et cest presque un an après, alors que je lui avais adressé une lettre pour des problèmes de droits dauteurs et de diffusion du livre, dans laquelle jindiquais également avoir eu connaissance dune transaction avec lAllemagne datant de plusieurs mois, que celui-ci ma enfin annoncé par retour de courrier en février 2006, quil venait juste de recevoir (!) une proposition dun éditeur allemand. Ce qui expliquerait peut-être sa réticence à madresser une copie du contrat, dont je nai reçu que fin juillet un exemplaire non daté, et où mon nom, en tant quauteur, napparaît nulle part. Evidemment je nai pas non plus reçu la moitié (500 euros ?) de là-valoir versé à Sépia lors de la signature du contrat allemand, et qui était censé me revenir.
Jespère quon ne considère pas quil puisse y avoir des auteurs de seconde zone nayant pas droit aux mêmes protections et à la même loi que les autres
Ma crainte cest le jugement rendu le 10 mais dernier par le Tribunal de Créteil -compétent selon le lieu de résidence de mon éditeur français. En effet, bien que constatant la contrefaçon, celui-ci a déchargé Sépia de toute responsabilité, estimant que la traduction nétait pas de son fait. Il a également jugé que, ne connaissant pas la loi allemande, il ne pouvait statuer sur un référé dans ce pays. Sépia ne donnant pas suite à ma demande de résiliation du contrat Reines dAfrique et de celui de son partenaire allemand, je me vois obligée de poursuivre laction sur le fond, espérant quil se trouvera bien quelquun pour sinquiéter de telles dérives. Car on aurait pu attendre de mon éditeur quil cherche à préserver lintégrité de luvre qui lui a été confiée, en demandant par exemple réparation à son partenaire. Mais il se réfugie derrière le fait quun manuscrit ma été adressé en novembre, en restant muet sur la date de publication en Allemagne, qui, en outre, napparaît pas dans le livre. Or mon action fait justement suite à la découverte dune contrefaçon ! Bref un mépris et une désinvolture insultants, et le tiroir caisse plutôt que le droit moral.
Faut-il donc se laisser déposséder impunément de sa propriété intellectuelle ? Des pratiques aussi douteuses ne sont certainement pas tolérées dans le monde de lédition, mais jespère quon ne considère pas comme établi quil puisse y avoir des auteurs de seconde zone nayant pas droit aux mêmes protections et à la même loi que les autres. Ce que je souhaite, cest quon mette fin à cette escroquerie morale et financière que constitue le détournement abusif de mon livre. Car comment expliquer leur motivation, sachant que Sépia a toujours refusé de sintéresser à une diffusion anglophone de Reines dAfrique, dont la traduction métait pourtant vivement réclamée en Grande Bretagne et par des universitaires Afro-américains ? Ces gens ont récupéré mon nom et le titre de mon uvre à leur profit, dans le but évident den ridiculiser le contenu et plus spécifiquement lhistoire de lAfrique et de sa diaspora. Il faut quon sache que mon Reines dAfrique na rien à voir avec les inepties diffusées par cette soi-disant traduction qui continue de se vendre tranquillement, au risque de me fermer un lectorat de qualité dans lespace germanophone.
Sylvia SERBIN
Journaliste, historienne, écrivain
Auteur de Reines dAfrique et héroïnes de la diaspora noire (Sépia, 2004)
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