Cette chronique est une reprise d’un texte que j’avais publié en 2006 sur mon blog. Je la reprends ici, avec quelques modifications, à l’occasion de la réédition par les éditions Graines de Pensées, de ma pièce de théâtre Atterrissage, laquelle sera représentée le mercredi 22 juin 2016 à la Délégation de l’Union européenne au Togo, dans une mise en scène de Hubert Arouna et Joël Ajavon. En 2006, la même pièce avait été jouée au Festival International de Théâtre du Bénin par une troupe belge, et avait donné lieu à une polémique à laquelle j’étais loin de m’attendre. En effet, suite à la représentation d’Atterrissage, plusieurs débats avaient été organisés autour du spectacle dans des lycées et collèges du Bénin. C’est l’impact inattendu de ces rencontres sur la presse, tel que l’illustre un article paru dans La Gazette du Fitheb, que je veux commenter ici. Selon l’auteur de ce papier que je me garderai de juger, il semble que j’aurais écrit Atterrissage pour démolir dans la tête des jeunes africains qui vivent au quotidien la misère de leur condition sociale, culturelle et professionnelle, leur rêve d’immigrer en Occident. Je veux bien croire que mon humour, qui exploite souvent les clichés et les gags cyniques, est parfois incompréhensible, mais en même temps, comment comprendre une telle accusation. Elle reflète une vérité intéressante: à celui qui n’a pas vu, n’essayez pas de décrire les cercles de l’enfer !?
L’actualité de l’immigration clandestine nous rappelle la dureté du phénomène. Mercredi 16 juin 2016, en ouvrant la radio, j’apprenais qu’on avait découvert des cadavres de migrants dans le désert saharien, entre Niger et Algérie ; parmi eux, des dizaines de corps d’enfants. C’est dur à encaisser. Cela m’a rappelé d’autres drames similaires: les clandestins africains abandonnés dans le désert marocain ; les cadavres abandonnés sur un bateau en train d’errer, au large des Îles Canaries ; et aussi cette anecdote, le triste souvenir de deux de mes amis qui, en 1991, au plus fort de la crise politique au Togo, avaient décidé de traverser le Sahara pour immigrer en Espagne. Je tais, par respect, l’ampleur des souffrances endurées, pour un résultat dérisoire qu’ils sont à même d’évaluer sereinement avec le recul des ans. Tous les deux, à l’époque des faits, approchaient la trentaine, avaient une famille qu’ils entretenaient difficilement, et l’honneur et le sens des responsabilités les obligeaient à essayer de s’en sortir par tous les moyens. Au cœur donc du débat sur l’immigration clandestine, se trouve la question des moyens mis en œuvre. En écrivant Atterrissage, je réagissais à un fait divers brutal et tentais de comprendre les mécanismes qui poussent à choisir un moyen plutôt que tel autre. Je sais qu’on ne peut dissuader un désespéré de tenter d’améliorer son sort, puisque l’instinct de survie fait partie de la nature de l’homme. Alors, si vraiment certains jeunes collégiens du Bénin ont cru que j’ai écrit cette pièce pour leur dire STOP, qu’ils se rassurent : au moins une fois dans ma vie, j’ai connu aussi ce qu’on appelle le désespoir ; mais question tout de même, au plus fort du désespoir, est-il interdit de rester lucide également ?
Voici l’intégralité de l’article signé Rock Akpoli, paru dans La Gazette du Fitheb, n°001 du 14 Février 2006. « Le Théâtre Musical Possible de Belgique a donné la représentation de «Atterrissage» au Centre culturel français de Cotonou dans le cadre de la 8è édition du Fitheb samedi dernier. Ce premier spectacle est une pièce de Kangni Alem, mise en scène par Mpunga Denis. Après l’indépendance de l’Afrique, cette dernière est demeurée toujours dépendante de ceux-là, ces gens qui se disent «les maîtres du monde». C’est ainsi que l’Afrique est restée sous le règne de la guerre, la pauvreté, la famine et quoi d’autre. A la quête du confort, du mieux-être et de la paix, la jeunesse africaine pense qu’il faut toujours aller se faire exploiter au pays des maîtres du monde. De cela est née une réalité tragique : l’exil (africain) que l’auteur togolais vient dénoncer à travers cette représentation du Théâtre musical possible de Belgique. A l’espace Marcellin Adadja du théâtre de Verdure du CCF, les comédiens du Théâtre Musical Possible ont relevé le défi d’adaptabilité en interprétant avec rigueur la pièce de Kangni Alem sur une scène plutôt sobre. Un minimum d’éclairage, des accessoires : une échelle, un tabouret, un gramophone, un mégaphone. Côté costume, le minimalisme y est également. Ils étaient quatre comédiens bien rodés dans le jeu. Partagés entre l’hilarité, la surprise et la tristesse, les enfants, les femmes et les hommes présents à ce rendez-vous ont communié avec un spectacle qui interpelle. «Atterrissage» est l’histoire de deux jeunes africains d’origine guinéenne. Fodé et Yaguine se sont battus corps et âme pour se donner les moyens de partir en Europe. Naïvement, les deux amis se font escroquer par un pasteur qui, en fin de compte, réussit à les faire introduire dans… le train d’atterrissage de l’avion où les deux aventuriers succomberont plus tard de froid et de chaleur. Sur le cadavre de Fodé, on découvrira une lettre. L’histoire ne nous dit pas s’il l’a écrite avant… mais on sait qu’elle est adressée aux responsables d’Europe et que Fodé y explique les raisons de leur aventure et demande l’assistance et l’aide de l’Europe. Dans sa mise en scène, Mpunga Denis a mis l’accent sur la légèreté du contrôle des candidats à l’émigration pour faciliter l’aspect de stigmatisation et de critique. Les comédiens plus outillés ont porté ce projet de mise en scène avec un rythme assez précis. Ainsi plus lisible le spectacle laisse percevoir son propre projet : une stigmatisation du problème de l’immigration clandestine, de l’exil, de la fuite des cerveaux africains. Le propos de l’auteur ici laisse toutefois perplexe. On a le sentiment d’un sujet dans l’air du temps traité sans nuances avec des préjugés, des idées reçues ou quoi qu’il fasse l’immigrant est forcément voué à la mort et dût-il devenir riche, il est définitivement privé de bonheur par le simple sort d’avoir opté pour l’exil. Cette vision des choses correspond hélas aux préoccupations d’une campagne dont les visées restent peu claires. Quoiqu’il en soit, ce discours aura servi aux comédiens du Théâtre Musical Possible de captiver l’attention du public. »
L’œuvre n’appartient pas à son créateur, c’est une leçon que je médite tous les jours. Je suis heureux de vous annoncer que j’attends ce que la mise en scène de Hubert Arouna et Joël Ajavon va me faire découvrir de mes supposées intentions cachées.
Je viens d’étudier des extraits de la pièce avec mes étudiants américains. Ils l’ont adorée et émis des remarques extraordinaires sur la forme, les personnages et l’écriture. Ils m’ont inspiré à écrire un article sur la pièce. Contactez moi si vous avez le temps.
Merci cher Monsieur.