Carnet de route : au pied du Mont Cameroun

camer_0.jpg25 novembre 2007. J’arrive à Douala, à 18h, une heure de retard sur l’horaire annoncé. Je suis fourbu, comme une épluchure d’oignon. Les formalités de police et la récupération des bagages ont lieu dans un désordre indescriptible : bienvenue à nos réalités si, tant énervantes.

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camer_0.jpg25 novembre 2007. J’arrive à Douala, à 18h, une heure de retard sur l’horaire annoncé. Je suis fourbu, comme une épluchure d’oignon. Les formalités de police et la récupération des bagages ont lieu dans un désordre indescriptible : bienvenue à nos réalités si, tant énervantes. Zen, rester zen à tout prix, comme ma voisine de gauche, laquelle porte un manteau d’hiver, très beau, c’est vrai, mais qu’elle refuse d’enlever malgré la chaleur dans la salle des bagages de l’aéroport de Douala. Elle lutte contre la chaleur dans sa tête, me dis-je, autrement ce n’est pas possible. À moins que ce ne soit pure coquetterie de porter sous les tropiques un vêtement fabriqué pour les pays froids !? Très peu de caddies, mais beaucoup de porteurs qui vous proposent leur service à 300 francs la valise. Dehors, plus tard, je découvrirai l’arnaque, les porteurs avaient entreposé les caddies ailleurs, de façon à en priver les passagers, qui s’en remettaient à la force de leurs bras pour sortir leurs lourds colis de l’aéroport.

L’hôtel Beauséjour où je loge est en deuil. Son gérant vient de casser la pipe. Sa photo mortuaire trône dans le hall d’entrée, bien visible. Malgré cela l’ambiance est joyeuse, les clients vont et viennent. La vie continue. Le business aussi. Pour faire le trajet de l’aéroport à l’hôtel, nous nous sommes perdus. Fabrice, le médiathécaire du CCF de Douala a dû demander son chemin à un taxi-moto, qui nous a guidé jusqu’au quartier Akwa contre un billet de 1000F. En fait, nous n’étions pas loin de l’hôtel mais Fabrice, dans la nuit, avait tout simplement perdu ses repères.

Vers 20h, avant de nous séparer, nous dînons au Foyer du Marin, restaurant allemand dont un équivalent existe également dans ma ville natale, Lomé. La bière en pression est fraîche, mais allait me provoquer toute la nuit d’horribles migraines. Bienvenue sur la terre littéraire du Cameroun !

26 novembre. « Yaoundé, ville où il pleut sans cesse, et où il n’y a pas d’électricité », ainsi parlait Mongo Beti, dans un texte publié juste avant sa mort dans le recueil Amours de villes (éditions Dapper). Nous ne sommes pas à Yaoundé, mais à Douala, mais la remarque de M. B. aurait pu s’appliquer à plusieurs villes du Cameroun. Ce matin, à Douala, il pleut, et il y a de l’électricité à l’hôtel. Je pense fortement à Mongo Beti. Quel souvenir, d’ailleurs, garde-t-on de lui ici ? J’avise une des serveuses de l’hôtel, juste l’envie de la soumettre à un test : connaît-elle le nom de Mongo Beti, célèbre écrivain camerounais ? Au moment de lui poser la question, je me ravise. Au fond, je craignais qu’elle ne me réponde « non ». L’immortalité de Mongo Beti est un postulat qui m’était trop cher pour être ainsi mis à mal par la réponse négative de la serveuse d’hôtel. Beti doit rester Beti, et même ceux qui ne le connaissent pas, un jour viendra où ils le connaîtront. En réalité, un écrivain célèbre c’est quoi ? Une hypothèse que sa célébrité n’est due qu’à l’idée que ses fans s’en font, idée que lesdits fans communiquent aux autres patiemment. Et si j’appelais la serveuse pour lui communiquer mon idée de Beti ? Là voilà qui s’approche de moi, et dépose sur la table la facture du petit-déjeuner avec un sourire compassé : 3000 F CFA (5 euros). Je la gratifie d’un sourire « complice », car je sais qu’au fond de son cerveau d’employée surmenée, il y a une place de libre, que viendra occuper un jour un certain Mongo Beti.

Vers midi, Dominique, le chauffeur de l’Alliance Française de Buea vient me chercher. J’avais rendez-vous à 16h30 au pied du Mont Cameroun pour une rencontre que j’ai fait mettre sous le double signe de la politique et de la littérature : « L’imagination politique et littéraire. »

Drôle de bonhomme, le chauffeur Dominique, s’arrêtant tout le temps pour, insistait-il, « se décharger ». Je m’étonne de la répétition de cette scène, l’homme aurait-il des problèmes de prostate ? Il conduit mal et bien à la fois, évitant les files des embouteillages, tombant lourdement dans les trous du pont sur le Wouri. L’état des routes à Douala est une insulte au bon sens : il faut une heure pour sortir de la ville ! Ici, comme dans beaucoup de villes d’Afrique, il y a de l’espace, mais aucun échangeur, aucune autoroute moderne. On ne roule ni sous terre ni en hauteur, on se traîne par terre que c’en est pitoyable.

Vingt minutes après la sortie de Douala, Dominique s’arrête à nouveau. Mais au lieu de pisser dans les fougères, il se dirige vers un hangar où officie un jeune vendeur devant des bouteilles en plastique contenant un liquide blanchâtre. Du vin de palme, reconnus-je immédiatement, à la vue des mouches agglutinées sur les bouteilles. On en fait goûter au chauffeur qui remonte à bord en tenant sa bouteille comme une commande de la plus haute importance. Il la cale sous ses jambes, bien droite, et chaque fois que l’objet se renversait, il ralentissait pour le remettre debout. Une astuce de buveur de vin de palme, car la boisson tourne vite lorsqu’on tient son récipient en position renversée. Je ne sais plus combien de fois il a siroté son vin pendant le trajet, tout comme je ne sais plus le nombre de fois que nous sommes arrêtés, soit parce qu’il voulait se décharger encore et encore, Dominique, soit parce que la voiture, dont le joint de culasse avait visiblement pété, fumait, nous obligeant à attendre qu’elle refroidisse. Il nous a fallu deux heures pour faire un trajet d’environ 70km, une prouesse. Mais Buea tint ses promesses. Belle ville entre montagne et océan, j’allais y retrouver l’écrivain toulousain Marc Trillard, directeur de l’Alliance Française du coin, et passer d’agréables heures avec un public totalement ignorant de la littérature africaine, de ses acteurs et des grands débats qui la traversent actuellement : pour qui écrivons-nous, quelle image donner de l’Afrique à travers nos fictions, décrire la réalité ou inventer celle de demain, l’imagination littéraire transcende-t-elle l’imagination politique, ou sommes-nous condamnés à ne toujours faire que le constat de l’échec du politique en Afrique ? Débat sérieux, trop sérieux. La conclusion d’une des étudiantes m’a laissé perplexe : « les écrivains peuvent nier la réalité et inventer les rêves de demain, mais un seul rêve anime le jeune Camerounais d’aujourd’hui, il veut partir pour l’Europe, il veut go, car son vécu est nul ! »

27 novembre. Retour à Douala pour la même conférence sur le même thème. Le modérateur s’inquiète à un moment donné : mon écriture, dit-il, est placé sous le sceau de la liberté, mais alors quels signes minima permettent d’en saisir le caractère négro-africain ? L’homme est professeur de littérature négro-africaine, et ancien recteur de l’université de Dschang ! J’esquive poliment la question. Au fond, si l’africanité continue de poser problème à la critique, n’est-ce pas la preuve qu’elle refuse d’admettre la diversité même de l’expérience artistique africaine ? Vaste débat qui n’a pas fini de diviser les créateurs et leurs critiques, personnellement je trouve intéressant le débat, même si je me refuse toujours à y entrer, vu la stérilité des conclusions auxquelles il amène sans coup férir.

28 novembre. Je suis à bord d’un car de l’agence Centrale Voyage. Dernière étape de mon voyage au Cameroun. Je pars pour Yaoundé, il est 7h du matin. Le car est spacieux et climatisé. Cela change des faux bus climatisés que j’ai souvent pris de Lomé pour Ouaga. Les routes sont en bon état. Je m’attends à toutes les surprises, car à chaque voyage à travers le monde, j’ai la confirmation que la terre est ronde. Hier soir, dans un cybercafé de Douala, je vois entrer un homme dont le visage m’était familier. Mais je le connais, me dis-je. L’homme me regarde et lance teno.jpgsoudain en éclatant de rire : « mais, c’est K.A., que fais-tu chez moi ? » Jean-Marie TENO, cinéaste camerounais. Cela faisait trois ans que nos chemins ne s’étaient croisés.

J’arrive à Yaoundé vers 11h. Yves Bourguignon, le directeur du CCF de Yaoundé, mon ami depuis 199O, année où j’avais dû fuir Lomé pour Cotonou, vient me chercher à la gare routière. Il n’a pas changé, toujours aussi simple et franc dans ses propos. J’avais à peine deux heures pour me reposer. Ensuite, l’après-midi, j’anime une rencontre à La maison des Savoirs, une bibliothèque de quartier située à Etoudi, le quartier du père du célèbre tennisman Yannick Noah.

29 Novembre. De Yaoundé, je garderai le souvenir de mes nombreuses retrouvailles. À l’université, mon ami Pabé Mongo me recevra plus tard pour 3 heures de débat avec ses étudiants ; je l’avais perdu de vue depuis 1994. D’autres amis étaient là, Martin Ambara, l’un des meilleurs metteurs en scène africain du moment, Solange Bonono, et une pléthore de jeunes loups de la Nolica, la nouvelle littérature camerounaise, le mouvement créé par Pabé Mongo pour redynamiser la réflexion sur les enjeux nouveaux qui attendent la littérature du continent au 21e siècle. En quittant Yaoundé, je pensais à la promesse que j’avais faite à Joseph Fumtin, le dynamique patron des Editions Ifrikiya : lui donner un texte à publier. Je sais que j’ai les moyens de tenir cette promesse, alors je m’envole vers Lomé le cœur serein. Toujours tenir ses promesses, la marque du respect que l’on doit à sa propre parole, et aux autres ! Dans l’avion, le lendemain, je me délecte du texte que Justin m’a offert avant le départ, sa dernière publication : Darfour, au-delà de la guerre, un livre sobre et très informé sur la guerre du Darfour, écrit par Alexandre Djimeli, un journaliste du groupe de presse Le Messager. Le Cameroun est une terre de littérateurs et de grands journalistes !

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