Aminata Zaaria ou l’autre manière de se mettre à nu

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zaaria_nuitLa disparition de la journaliste, chroniqueuse et écrivaine Sophie Dièye, plus connue sous le pseudonyme d’Aminata Zaaria a mis en émoi le monde des médias et des lettres du Sénégal. Elle était l’auteur d’un roman qui m’avait troublé en son temps, La nuit est tombée sur Dakar, paru en 2004 aux éditions Grasset à Paris. L’histoire d’une tromperie monumentale entre un toubab et une jeune fille de 17 ans qui rêvait du prince blanc! Les premières phrases de ce premier roman étaient fortes: « Je sais que je risque les flammes de l’enfer, mais je suis prête à tout pour échapper à la pauvreté. Et puis, le Bon Dieu tiendra peut-être plus compte des supplices subis ici-bas que de mes pêchés. Il suffira de Lui expliquer que j’en avais marre de la médiocrité ambiante pour qu’il m’accorde sa grâce infinie. Ainsi, le jour du jugement dernier, Il ne m’enverra pas dans les braises où cuisent les femmes qui ont eu des rapports sexuels avec des hommes qui boivent de la bière, mangent du porc et refusent de jeûner durant le mois sacré.  » On a cru qu’elle racontait sa vie (mais au fond, qu’est-ce que j’en sais?), alors qu’elle avait écrit un roman, mais elle était femme, vous savez, et lorsque femme dis « je », et parle de choses crues, les lecteurs deviennent fous et laissent libres cours à leurs fantasmes. A une autre époque, l’écrivain américain Allen Ginsberg, dans l’idée d’expliquer ce que c’est que la nudité de l’écrivain, s’était mis à poil en public à Londres. C’était en 1957, lors d’une lecture publique, quelqu’un avait lancé dans le public à l’endroit de Ginsberg, « qu’est-ce que vous entendez par nudité? » Ginsberg avait alors, simplement, enlevé ses habits, et avait mis au défi son interlocuteur d’exposer à son tour ses sentiments et sa nature réelle en se mettant à nu comme lui. L’anecdote a été rapportée par la romancière Anaîs Nin, laquelle n’a pas précisé si Ginsberg avait gardé son caleçon ou avait exhibé jusqu’à ses bijoux de famille. Aminata Zaaria aussi est allée très loin dans la mise à nu de soi, par roman interposé. A tel point, m’a raconté l’intellectuel mauritanien Bios Diallo, qu’un jour dans la ville du Mans, alors qu’elle venait de présenter son roman, lequel relate les aventures d’une jeune fille obligée de se prostituer pour survivre, un homme dans le public (un toubab) s’était approché d’elle pour lui demander si toutes les choses sexuelles qu’elle avait racontées, elle les faisait encore? « Non, non » avait répondu une Aminata surprise, qui était pourtant aux bras de son mari, le metteur en scène français Lucio Mad. « Dommage », aurait conclu l’homme, avant de s’éloigner. Il y a des mises à nu romanesques qui vous poursuivent, surtout lorsque vous êtes une femme comme Aminata, comme Ken Bugul, etc. Des années durant, je me suis demandé pourquoi Zaaria n’avait pas écrit un autre roman… La vie l’avait rattrapée, semble-t-il, la mort de son mari qui l’avait paralysée, son diabète découvert sur le tard… Quelque fois, j’avais eu la chance de lire ses chroniques dans la presse sénégalaise. L’esprit était là, la franchise aussi. Et même si je ne la connaissais que de loin, je lisais entre les lignes que j’avais affaire à une femme entière, dont la vision du monde n’était pas celle que l’on attend souvent des femmes sur ce continent.

Aminata Zaaria est morte. La grande nuit est donc vraiment tombée sur une figure atypique du grand Dakar. La nuit est tombée pour couvrir à jamais la nudité réelle ou feinte d’une romancière qui n’était pas n’importe qui. C’est Léo Ferré qui chantait avoir reçu un coup de fil de la mort. Celle-ci s’adressant au chanteur au téléphone lui avait déclaré, avant de raccrocher: « J’aime beaucoup ce que vous faites ».  Alors, à la mort dont la voix était celle d’une vieille dame, l’artiste avait fébrilement répondu: « moi aussi j’aime beaucoup ce que vous faites, Madame. » La vie est courte mais complexe, c’est vrai, mais la mort est là qui nous permet de nous souvenir de ce que furent les hommes sur terre, de nous souvenir de leurs œuvres marquantes.

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