Amen Viana aux sources du répertoire musical togolais

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Amen VianaTrois syllabes pour chacun des mots qui forment le titre du nouvel album du musicien Amen Viana. « Electric », pour désigner l’instrument principal utilisé pour l’album, la guitare électrique ; c’est l’instrument privilégié pour jouer des styles tels le blues, le rock, la pop et le hard rock. Sur scène, le samedi 20 mai à l’Institut Français de Lomé, Amen Viana en dégainera trois, dont la fabuleuse guitare Larsen ; « Togoland » renvoie dans un premier temps à l’histoire coloniale du Togo en sa période allemande, mais ici, seule la notion de terre (land) importe, et non pas celle d’un territoire politique ou administratif. La terre natale et ses musiques, celles qui ont bercé l’enfance de ce virtuose de la guitare, Amen Viana, longtemps nourri des riffs de Jimmy Hendrix, de Sting et de Bob Marley, et ayant joué avec les plus grands musiciens, dont les très respectés Keziah Jones, Black Eyed Peas et Cheikh Tidiane Seck, entre autres. A l’instar d’un Peter Solo, Amen Viana est une des valeurs musicales togolaises célébrées à l’international, et pas assez prophète au Togoland, sauf dans quelques cercles de mélomanes avertis. Son nouveau disque devrait plaire à tous, et réconcilier ce prodige avec un public togolais devenu musicalement trop timoré à mon goût.

Nos classiques à nous…

La pochette du disquepochette verso« Electric Togoland » est un concept simple : Amen Vina revisite avec sa culture rock les chansons qui ont forgé, enfant, sa curiosité musicale . On y retrouve des incontournables traditionnelles comme ABCD, Toutou Gbovi ( laquelle chanson se termine par une allusion musicale très osée qui vous fera sursauter d’étonnement, mais qui montre que notre héritage musicale est variée et polémique) ou Salagati, titre dont l’interprétation est confiée au virevoltant Ycaz, surnommé Teacha de Teacha ; on y reprend Akofa Akoussah (Patricia Colley), Bella Bellow (Amen himself) ; on y croise du High-Life, base musicale du Golfe de Guinée, chanté par le maître de tous les chants, le gentleman Tedy Best, ancien complice de Fela Kuti et membre du respectable Togo Jazz Seniors ; mais on y croise aussi de vraies légendes de la chanson made in Togo comme Ali Bawa, Roger Damawuzan, King Mensah, trois artistes à qui Amen Viana offre un nouvel écrin musical diversement surprenant. Si le rock est la nourriture d’un Damawuzan depuis les années 70, en temps normal Ali Bawa, par exemple, n’évolue pas dans le registre rock, mais sur un titre comme Laboua, les claps de guitare électrique, les percussions et la contrebasse redonnent à sa voix naturelle un éclat nouveau, une fraîcheur et une modernité des plus réjouissantes. Par contre, je ne sais pas, j’ai eu l’impression que King Mensah n’arrive plus à me surprendre, même avec les riffs intelligents qui couvrent ses effets de voix archi connus sur « Electric Incantation ». Sur scène, pour le lancement du disque, Amen Viana avait invité aussi des artistes qui ne figurent pas sur le disque comme Adjoa Sika ou Elom 20ce, mais aussi les Togo Jazz Seniors : moment de grâce à réécouter cette manière de jouer propre aux années 80.

Rocking tears… Original

Amen Viana et les pleureuses de KlomayondiLa vraie audace du disque reste la rencontre presque improbable entre Amen Viana et les pleureuses de Klomayondi, dirigées par Madame Doumassi. Ces femmes âgées dont le village se trouve à environ 8 km de Kpalimé ont pour fonction, habituellement de chanter aux funérailles parce que leurs chants auraient le don de consoler les familles éplorées et de charmer l’âme des défunts. Lorsque j’ai vu ce 20 mai sur la scène de l’Institut Français de Lomé Amen Viana accompagner avec ses guitares ces dames, véritable institution dans le monde musical traditionnel, j’ai compris le double hommage que le musicien a voulu rendre en public. Ces reines de la mélopée funèbre, dont l’orchestration de Viana renouvelle le chant ont, sans le savoir, célébré la mémoire douloureuse de l’artiste lui-même, comme en une ode au souvenir de son frère Jeannot (RIP), celui qui l’a initié à la guitare et qui a trop tôt rejoint le pays des ombres. Là où se trouve ce frère prodige du quartier Bè-Kpota, il devait être ému en écoutant son frangin claper la guitare pour accompagner le blues immémorial des pleureuses de Klomayondi. Il fallait le faire, et Amen Viana l’a osé. Le Togo a de grands guitaristes, sans prétention, et Amen Viana en est la parfaite illustration. Ce disque est une nouvelle étape importante dans sa carrière déjà très riche. Ne vous le faites pas conter ! Bonne semaine à tous.

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