Africajarc : quand l’Afrique s’invite dans le Lot

africajarc-cb45b.jpgCela fait 10 ans que le festival Africajarc existe. Cette année, j’ai reçu une invitation pour m’y rendre. Une de mes pièces, Chemins de croix, est aussi programmée en lecture à Figeac, à 25km de Cajarc, par les Tréteaux de France, la, compagnie de Marcel Maréchal…

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africajarc-cb45b.jpgCela fait 10 ans que le festival Africajarc existe. Cette année, j’ai reçu une invitation pour m’y rendre. Une de mes pièces, Chemins de croix, est aussi programmée en lecture à Figeac, à 25km de Cajarc, par les Tréteaux de France, la, compagnie de Marcel Maréchal…

Mercredi 23 juillet : le vol de la Royal Air Maroc décolle de Lomé à 2h35 du matin. À peine assis dans l’appareil, je m’endors, pour ne me réveiller que deux heures avant l’atterrissage à Casa. La correspondance se fait sur les chapeaux de roue, l’aéroport de Casa est grand, et seul mon tout nouveau passeport diplomatique allait m’éviter de traîner dans la queue des passagers fouillés, tâtés, et forcément soupçonnés d’être des terroristes potentiels, je suppose…

africajarc-cb45b.jpgTrois heures et demie plus tard, aux alentours de 12h45, j’atterris enfin à Toulouse, où une voiture du festival m’attend pour me conduire à Cajarc. Durant le trajet, je profite du calme dans la voiture pour envoyer des SMS aux potes, puis j’appelle JN, l’ami, le grand frère. Son ton est vif au téléphone, comme s’il m’attendait au tournant. Il me demande à quel titre je voyage, « comme représentant du fils du père », ou comme artiste ? Calmement je lui explique que ce voyage est personnel, que je me rends à un festival de littérature, et que je n’y représente personne, à part moi-même. « Un festival francophone », ironise-t-il. Je souris. « De toute façon, tu sais que cette littérature n’a pas d’avenir », continue-t-il. « Je sais, tu vas la tuer avec ta littérature en Fon », lui rétorqué-je. « Bien sûr, répond-il pince sans rire, avant de m’achever. Ah, Kangni, depuis que tu es dans le système, tu n’es plus toi-même ! » Je ne moufte pas. Ce genre de remarque, je l’entends pratiquement chaque semaine, je commence même à ne plus y prêter attention, car je suis convaincu que personne ne sait mieux que moi quels sont mes objectifs. Et puis, au fond, l’idée que les hommes ne puissent pas changer me paraît tellement dangereuse que je préfère accepter que « j’ai changé », en demandant simplement de la patience à mes critiques et en leur donnant rendez-vous pour le jour du bilan, car bilan il y aura forcément, si je suis encore en vie, au bout de l’aventure pour laquelle je reçois coups, flèches et lazzis de diverses sortes. Le Taureau, astrologiquement, a le cuir épais, et sait toujours pourquoi il fonce dans une direction donnée.

Jeudi 24 juillet : ce matin, en compagnie d’Agnès Decorsaint, responsable du volet littérature d’Africajarc, j’ai fait à pied une promenade le long du Lot, sur l’un des sites du festival. Partout, des marchés d’artisanat africain. Cajarc s’est mis à l’heure de l’Afrique. Même à La Poste, des objets d’art du continent traînent partout, au mur, dans une belle vitrine posée au centre du bâtiment. De quoi faire réfléchir l’homme public en moi, qui rêve de faire de la culture une chose évidente dans un pays pauvre et pas un sou ambitieux. Voilà dix ans que dans ce petit canton français de 1200 âmes, chaque été, on célèbre l’Afrique, sa musique, sa littérature, son artisanat. À l’origine du festival, un jeune Togolais, Anani Apetogbo, que j’ai rencontré la veille au soir, en compagnie du chanteur togolais Sassou Koudou, lui aussi invité du festival, tout comme le percussionniste Anoumou Nador et le chorégraphe Henri Motra. Si je rajoute à la liste Sami Tchak et les sculpteurs Adzra Ely Salomon et Do Mesrine, je dirais que le Togo se taille une belle part à Cajarc cette année, et ceci n’est pas pour me déplaire personnellement.

Sami est arrivé vers deux heures de l’après-midi. Le soir, à la cérémonie d’ouverture, nous tombons nez à nez avec Christian Eboulé, journaliste à TV5 Monde. Petite discussion marrante sur le microcosme littéraire africain en France, ses succès, ses échecs, ses prétentions, ses prises de tête. Rire de soi, rire des autres, cela peut être thérapeutique, l’être humain est ainsi fait, il lui faut toujours trouver chez les autres des défauts qu’il sait pertinemment avoir aussi en puissance, puisqu’il suffit qu’il soit dans les mêmes conditions que ceux qu’il critique pour lui aussi péter les plombs, se la jouer et se prendre pour la mesure de son microcosme ! Plus tard, au dîner, nous retrouvons le congolais Wilfried N’sondé, et Gaston Kelman nous fait une arrivée de star au moment du dessert. La soirée se termine par un spectacle de bonne tenue, A Love Supreme, d’après la nouvelle d’Emmanuel Dongala, hommage appuyé au saxophoniste ténor John Coltrane disparu en 1967. Du spectacle, j’ai gardé une bonne impression de l’orchestre, puissant et précis, notamment dans sa reprise du titre de JC, Alabama, sous l’œil averti d’un spectateur de luxe, Manu Dibango, arrivé discrètement pendant la représentation.

Vendredi 25 juillet : Il est 14h10, je traverse la place de l’Église, direction l’église Saint-Etienne, une belle bâtisse datant du 13e siècle. J’aperçois le conteur camerounais Binda N’gazolo en train de terminer le réglage de son dispositif technique pour son spectacle de l’après-midi. J’ai connu Binda en 1990 à Lomé où il faisait une formation d’entrepreneur culturel. Je longe les murs, pour ne pas le distraire. De toute manière ma destination finale était l’église, où je voulais m’isoler pour méditer. Et prier. Pour le repos de l’âme de Sylvie, ma cousine maternelle, dont j’ai appris le décès la veille à Lomé, des suites d’une erreur médicale : une surdose de valium censé la faire dormir pour lui éviter les douleurs de la sciatique. Elle s’était rendue à l’hosto se faire soigner, elle ne reviendra plus chez elle vivante. Je me demande, dans la sérénité de l’église, si la mort par erreur médicale est aussi de l’ordre du destin. Mon désarroi est grand, qui me fait refuser l’idée que le destin c’est cela, quelque chose qui n’a pas de sens. J’ai prié longtemps, médité sur la fragilité de nos vies dans les pays pauvres, et promis à l’âme de ma cousine que nous essayerons de nous occuper pour le mieux de la progéniture qu’elle laisse derrière elle !

L’après-midi, j’assiste distraitement à la conférence de Gaston Kelman autour de son dernier livre. Comme toujours avec Gaston, le public est en délire. L’homme a ses aficionados, et aussi ses détracteurs, souvent caricaturaux ces derniers, qui ne l’attaquent pas pour le contenu de la conférence du moment, mais pour des propos qu’il aurait tenus ailleurs, à la télé ou sur une radio. Le délire. Impossible de comprendre les raisonnements des uns et des autres. Le système Kelman fonctionne ainsi, quand il parle le public acquis à sa cause applaudit à tout rompre, et le public qui lui en veut fourbit les armes pour un affrontement qui finit par lasser, par manque de nuances et de densité dans le raisonnement.

Le soir, nous nous retrouvons tous devant la grande scène du festival pour le grand concert de Manu Dibango. Il a quel âge, Manu, et où trouve-t-il cette pêche décontractée ? Son concert est un safari musical. L’homme, tantôt, prend prétexte d’un standard de Fela Kuti pour aller butiner dans des sphères aléatoires mais toniques, tantôt rend hommage au Duke en l’invitant à confronter sa jungle de Harlem au bush africain, mais surtout, et c’est là où réside la vraie force de Dibango, s’amuse à improviser de pures séquences de jazz sur le rythme du couper-décaler ivoirien ! La classe, la force de l’artiste à l’aise dans tous les compartiments, capable de rire de tout et d’entraîner son public dans ce rire musical profondément régénérateur. Même Soro Solo, journaliste à France Inter et RFI ne peut résister à cet appel, qui s’est mis à danser comme une toupie dans la foule, oubliant qu’il était journaliste, emporté par l’événement qu’il était censé venu couvrir ! À tel point que pour le calmer, Sami est allé lui demander de rendre sa carte de journaliste ! Sacré Soro Solo !

Tiens ? À propos de musique et de littérature, Sami et moi pensons former un groupe musical, « Togo Fusion », pour compenser notre manque d’auditoire. Depuis que nous sommes là, nous voyons si peu de monde à nos stands, alors que la foule se presse aux concerts musicaux. Ah, pourquoi donc sommes-nous devenus écrivains ?

Samedi 26 juillet : Je flâne dans un magasin de Cajarc. Une voix masculine fait des réflexions que mes oreilles perçoivent clairement : « J’espère que la police les contrôle quand même… » Nos regards se croisent, et l’homme se tait. Je sors dans la rue, et j’éclate de rire, c’est vrai, il y a trop de Noirs dans les rues de Cajarc, et ceci je le comprends peut déplaire aux racistes patentés. Le racisme, un concept durable et équitable !

Après le dîner, je me dirige Place de l’église pour aller assister à un spectacle de conte. Le conteur est un écrivain connu, le malgache Jean-Luc Raharimanana. C’est la première fois que je vais le voir jouer. Je ne sais à quoi m’attendre. Jean-Luc conteur ? Son musicien, Marius, excelle, dans la création d’ambiance. JL se lance, et le résultat, ma foi, est plus que crédible. Pendant une heure, il nous fait balader entre ciel et terre. Le public est aux anges, moi aussi, ouf !

Le soir, méga concert de Tiken Jah Fakoly. J’ai toujours pensé que Tiken n’a pas une voix terrible, mais des messages forts. Ce soir, la chose me paraît encore plus évidente. Malgré la force de la sono, on entend difficilement le chant. La fatigue des tournées, me dit quelqu’un. Heureusement que le public connaît par cœur certains de ses refrains célèbres : « On a tout compris… Ouvrez les frontières… Quittez le pouvoir Mr le Président. » À propos de cette dernière chanson, je fais remarquer à Sami qu’elle n’a aucun sens à Cajarc, surtout que lors de son dernier concert à Lomé, le chanteur n’avait pas osé le chanter au stade de Kégué ! Pourquoi ? Alors, là, je ne saurais répondre à une question aussi… Mais pour les organisateurs d’Africajarc, Tiken c’est pain bénit : n’a-t-il pas, pour la première fois de l’existence du festival, fait exploser le compteur ? Il y avait 3800 spectateurs à son concert, du jamais vu à Cajarc, depuis le record de Keziah Jones, 2800 entrées paraît-il. La preuve que l’artiste a quand même atteint une véritable popularité. Reconnaissons-le-lui !

Dimanche 27 juillet : le festival fermera ses portes ce soir, pour un an. Je ne sais si j’aurai la force d’assister aux derniers concerts, ceux de Gabriela Mendès, de Dobet Gnahoré et du groupe togolais Adan et Kayi. Ma journée marathon commence avec un tour au stand « littérature », puis je fais une incursion à la salle de cinéma pour assister au film du béninois Amoussou, « Africa Paradis ». Très vite, je me lasse du propos : l’Afrique étant devenue un paradis développé, les Européens dont les pays ont décliné prennent d’assaut ce paradis et se font refouler comme des malpropres. Bon, pourquoi pas, mais en attendant…

Vers 14h30, j’assiste, un peu désinvolte, au débat sur le thème « la littérature à l’épreuve de la ville ». Le thème est difficile, et nous sommes trop nombreux à en débattre, quatre au total, plus les deux modérateurs. Normal donc que ça parte un peu dans tous les sens : de la ville on en arrive à l’exclusion, puis au métissage, les uns attribuant aux autres des propos qu’ils n’ont pas tenus, et qu’ils veulent dénoncer avec force ! Ah, pourquoi donc les auteurs devraient-ils être des spécialistes de tout !? Nous sommes un peu dans la même situation que Tiken Jah Fakoly, à qui on avait collé la veille une dissertation mortelle sur le thème « Faut-il ouvrir les frontières ». Pourquoi donc faut-il que les artistes soient spécialistes de tout !? Sami nous lâche avant la fin de la conférence, un train à prendre, le veinard !

17h15, départ pour Figeac, la ville natale de Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes égyptiens. Les comédiens des Tréteaux de France m’attendent Place des Écritures, un espace attenant au Musée Champollion, pour la lecture de ma pièce « Chemins de croix ». Je n’ai pu cacher mon émotion quand j’ai pris la parole, debout sur une immense fresque de la pierre de Rosette, pour relater les circonstances de la genèse de ce texte dont certains échos me poursuivent encore aujourd’hui. Texte de jeunesse, Chemins de croix. Autres temps, autres rêves estudiantins. Mais j’ai plaisir à constater que le texte a bien vieilli, et peut même facilement s’affranchir du cadre qui l’a vu naître, celui de la dictature militaire du Togo des années 1990, pour devenir une parabole sur le sens réel de l’engagement dans des conditions coercitives. J’ai passé quelques minutes avec le public, après la lecture, avant le retour à Cajarc, aux environs de 20h. Fatigué, épuisé, mais heureux. Je n’ai plus la force de traîner jusqu’à 2h du matin, la route est longue demain qui doit me mener à Paris, Bordeaux, Toulouse puis Lomé. Merci à Agnès Decorsaint, responsable du volet « littérature » du festival, pour son invitation, merci aux Tréteaux de France pour le partage de nostalgie.